Joe Biden devrait faire tester ses capacités cognitives. Pas parce qu’un procureur spécial l’a décrit comme « un vieillard bien intentionné à la mémoire défaillante ».

Mais parce qu’une personne pouvant déclencher une guerre nucléaire devrait avoir des facultés intellectuelles intactes. Et nous rassurer à ce sujet…

Rien de personnel, rien d’âgiste : un peu comme il est normal de passer un examen médical physique, il devrait être tout aussi évident de mesurer sa capacité cognitive. Pour tous les candidats à de hautes fonctions exécutives.

Cet avis, qui me semble tomber sous le sens, est celui du docteur Ziad Nasreddine. Ce neurologue québécois s’est rendu célèbre dans le milieu médical en créant un test simple de capacités cognitives d’une durée de 10 minutes, connu internationalement comme le « test de Montréal », ou MoCA (Montreal Cognitive Assessment). Sa notoriété est passée à un autre niveau quand Donald Trump a passé le test en 2018. L’ex-président ne cesse d’en parler depuis.

Le test a ceci de particulier qu’il détecte les premiers signes des faibles pertes cognitives. Et Donald Trump n’a pas tort : n’allez pas croire qu’il s’agit simplement de distinguer un éléphant d’une bouilloire électrique. Le test est loin d’être facile. Seulement 10 % des gens obtiennent la note parfaite de 30 sur 30.

Une des épreuves consiste à retenir cinq mots n’ayant pas de rapport entre eux. Par exemple, « Person, woman, man, camera, TV », comme a dit Donald Trump dans une entrevue célèbre, ne pourraient pas être les cinq mots, puisqu’il existe une connexion logique entre certains d’entre eux.

(J’ai cette manie de faire des digressions, de mettre des trucs entre parenthèses, etc., et après, j’oublie ce que je voulais dire. Je vous reviens.)

Ah oui, la mémoire. Il faut distinguer les oublis occasionnels des troubles pathologiques de la mémoire. Ce qui est la différence entre oublier que Sergueï Eisenstein a réalisé Le cuirassé Potemkine et ne pas se souvenir qu’on est allé voir le film la veille au cinéma Guzzo.

Le test MoCA sert à identifier les premiers signes de déclin cognitif. Avant qu’on diagnostique la maladie d’Alzheimer, elle peut s’être développée pendant 15 ou 20 ans sans que la personne soit affectée dans sa vie quotidienne.

Mais est-ce qu’un cerveau humain vieillit fatalement selon une courbe déclinante et déprimante ?

Pas forcément, me dit le DNasreddine au bout du fil.

Nos statistiques sont basées sur des données qui remontent aux années 1950, et on ne peut pas savoir si le déclin observé dans les cas individuels est dû au vieillissement ou à une pathologie.

C’est encore controversé de savoir si un déclin est dû à une maladie qui se prépare ou si le cerveau vieillit. On a plusieurs exemples de centenaires qui ont une mémoire exceptionnelle, qui sont encore actifs physiquement et socialement. On se demande donc si le vieillissement “normal” existe.

Le DZiad Nasreddine

On ne peut donc pas décréter médicalement d’âge limite universel au-delà duquel on ne pourrait pas occuper de hautes fonctions exécutives. Mais il est tout à fait légitime de se soucier de l’état cognitif, et de le vérifier avec des tests rigoureux. Il ne se prononce pas, bien sûr, sur les candidats actuels, mais note qu’à la fin de sa présidence, certains signes avant-coureurs de la maladie d’Alzheimer étaient perceptibles chez Ronald Reagan, bien protégé par son entourage.

« Si un politicien refuse, ça devrait nous intéresser », dit-il. Et nous inquiéter sur sa capacité de maîtriser les éléments essentiels d’information et d’analyse pour prendre une décision.

Mais dites-moi, Docteur, quel conseil donneriez-vous (à un président ou à une boulangère) pour l’entretien du cerveau ?

Premièrement, et au-dessus de tout, dit-il : la socialisation. Rencontrer des amis, la famille, et discuter de l’actualité. Politique, artistique ou sportive, peu importe.

Pourquoi ? Parce que « l’acte le plus exigeant pour le cerveau humain sur le plan cognitif » est de rencontrer d’autres personnes pour discuter du présent, d’échanger des opinions.

« Ça engage la mémoire récente et beaucoup d’éléments d’information qu’il faut gérer simultanément, ça implique le langage, le vocabulaire, le raisonnement. » Parler uniquement du passé ne nécessite pas de la même manière l’utilisation des capacités cognitives.

Deuxièmement : ne pas prendre sa retraite.

« Ça, ce sera peut-être moins populaire, Docteur…

— Ou alors rester actif, que ce soit en participant à des conseils d’administration… ou en jouant aux cartes. »

Faire de l’activité physique, évidemment, est excellent pour l’entretien de la mécanique cérébrale.

Au fond, Joe Biden suit à la lettre ces conseils : il est plongé dans l’actualité, les discussions incessantes, les échanges d’opinions opposées… Et il ne veut rien savoir de la retraite.

Rien ne l’empêcherait, comme d’ailleurs les juges des cours supérieures ou d’autres décideurs, de prendre dix p’tites minutes pour mémoriser quatre, cinq mots et identifier une marmotte ou, encore mieux, un raton laveur.

J’aimerais vraiment qu’il reconnaisse les ratons laveurs.