Sans faire de bruit, des musulmans britanniques ont mis sur pied un réseau de tribunaux islamiques qui appliquent la charia légalement en Grande-Bretagne. Mais, un an à peine après leur naissance, ces tribunaux outrepassent déjà leurs compétences.

Des musulmans ontariens en rêvaient, des musulmans britanniques l'ont fait: ils ont mis sur pied un réseau structuré de tribunaux islamiques dans toute la Grande-Bretagne. Ce serait le premier réseau en son genre à appliquer légalement la charia en Occident, selon Cheikh Faiz-ul-Aqtab Siddiqui, responsable du Tribunal d'arbitrage musulman (MAT).

 

Sans tambour ni trompette, le MAT a déjà arbitré une centaine de causes depuis sa fondation en août 2007. Des cas de divorce, de disputes financières et même de violence conjugale ont ainsi été tranchés selon les préceptes du Coran plutôt que selon le droit britannique.

Rencontré alors qu'il s'apprêtait à prendre l'avion pour se rendre à la Mecque, Siddiqui a expliqué à La Presse que le MAT «est le premier tribunal à avoir été mis sur pied selon un processus formel basé sur la Loi de l'arbitrage de 1996». Traduction libre: le MAT est la première instance juridique britannique qui applique la charia et dont les décisions ont force de loi.

Comme en Ontario, les promoteurs de la charia en Grande-Bretagne ont eu recours à la Loi sur l'arbitrage pour mettre sur pied leurs tribunaux. La grande différence? Le gouvernement britannique ne s'est pas mis dans leur chemin, contrairement à celui de l'Ontario, qui avait décidé de bannir l'arbitrage religieux en 2005 à la suite de la grogne populaire.

Si la charia a également mauvaise presse en Grande-Bretagne -l'archevêque Rowan Williams a récemment été cloué au pilori pour avoir dit que l'application de la charia au pays «semblait inévitable»-, rien n'y empêche l'existence de tribunaux d'arbitrage basés sur les enseignements Coran.

«Selon la Loi sur l'arbitrage, dès que deux parties ou plus s'entendent expressément pour être liées à la décision d'une troisième partie, elles peuvent obtenir un arbitrage», explique une porte-parole du ministère de la Justice. Des juifs britanniques possèdent ainsi leur propre tribunal d'arbitrage depuis plus de 100 ans.

Balises outrepassées

Si la loi autorise le recours à des préceptes religieux pour un arbitrage, elle établit toutefois des balises. «Il ne peut pas y avoir d'arbitrage dans les causes criminelles ni dans certains problèmes de droit familial, comme la garde des enfants, bien que des questions financières puissent être réglées», précise la porte-parole du Ministère.

Le hic? Le MAT outrepasse déjà les limites imposées par la loi. Il a notamment traité plusieurs causes criminelles, comme des cas de violence conjugale. Non repentant, Siddiqui assure que cela a permis de régler les problèmes de violence tout en sauvant les mariages en question. «Si une femme décide de poursuivre son mari, de témoigner et de l'envoyer derrière les barreaux, cela signifie la fin du mariage», déplore le religieux de 31 ans qui possède également une formation d'avocat.

Dans les six cas de violence conjugale traités par le MAT, les arbitres ont ordonné aux maris de suivre des cours de gestion de la colère et des tutorats supervisés par des «personnages âgés» de leur communauté. Toutes les femmes ont ensuite retiré leurs plaintes et les forces de police ont arrêté leurs enquêtes. Mis aux faits de ces décisions, le ministère de la Justice ne s'y est pas opposé.

Expansion

Le MAT compte déjà des tribunaux dans cinq villes dont Londres et Manchester et souhaite étendre ses activités en Écosse. À l'heure actuelle, le MAT peut puiser dans un bassin de 38 arbitres. Qui sont-ils? «La moitié sont des religieux, l'autre moitié est composée d'avocats, de juges et de magistrats», précise Siddiqui, qui ajoute du même souffle que 65% sont des hommes et 35%, des femmes.

Hormis son siège social à Nuneaton, au centre de l'Angleterre, le groupe ne possède pas d'infrastructure en tant que telle pour l'instant. «Lorsque nous devons entendre des causes, nous louons des salles de conférence, généralement dans des hôtels», indique Siddiqui.

Peu médiatisée, la naissance de ce système d'arbitrage parallèle n'a guère suscité de grogne en Grande-Bretagne. L'évêque de Rochester, Michael Nazir-Ali, s'est toutefois dit inquiet que des gens ne se sentent forcés d'accepter un arbitrage fondé sur la charia.

Plusieurs craignent également que l'application de la charia ne désavantage les femmes. Déjà, dans une cause d'héritage entre deux frères et trois soeurs, le MAT a remis deux fois plus de biens aux hommes qu'aux femmes, en accord avec les préceptes du Coran.

Siddiqui soutient qu'il n'y a rien d'injuste dans cette décision. «Les femmes peuvent garder les biens pour elles, tandis que les hommes, eux, doivent les partager avec leur famille», a-t-il précisé avant de s'envoler pour Djeddah, en Arabie Saoudite.