Le gouvernement français vient de lancer une campagne de sensibilisation nationale pour lutter contre les mutilations sexuelles. Objectif: empêcher des milliers de jeunes femmes d'en être victimes, explique notre correspondant à Paris.

Des policiers français ont dû intervenir en janvier à Nevers, dans l'est du pays, après qu'un couple de ressortissants guinéens eut alerté les pompiers du fait qu'une de leurs filles perdait beaucoup de sang.

 

Les parents avaient tenté de couper le clitoris de l'enfant de 7 ans, qui a été conduite dans un état grave à l'hôpital. Ils risquent aujourd'hui la prison pour leur action.

Au dire des associations qui s'occupent de la problématique de l'excision, il est désormais exceptionnel que ce type de cas survienne sur le territoire national. Plusieurs milliers de jeunes Françaises demeurent néanmoins menacées par une pratique traditionnelle toujours largement répandue dans plusieurs pays d'Afrique de l'Ouest.

Selon le Dr Henri-Jean Philippe, chef du service de gynécologie et d'obstétrique du Centre hospitalier universitaire de Nantes, il n'est en effet pas rare que des filles nées dans l'Hexagone soient excisées au cours d'un voyage dans le pays d'origine de leurs parents.

Ce fut le cas, relate-t-il, d'une jeune femme de 17 ans qui a récemment été excisée de force lors d'un voyage en Guinée.

«Elle a vécu l'horreur. On ne pouvait même pas l'examiner au début. C'est comme si elle avait été victime de torture», indique le médecin, qui préside l'organisation Gynécologie sans frontières.

Lame de rasoir

Un suivi a été entrepris auprès de la mère de la jeune femme pour s'assurer que ses soeurs ne subiront pas, un jour, le même traitement.

Il arrive, explique le spécialiste, que les aînés usent de leur position dominante dans les structures familiales traditionnelles pour imposer l'excision malgré l'opposition des parents.

Le gouvernement français, conscient de ces risques, a lancé la semaine dernière une nouvelle campagne de sensibilisation nationale pour lutter contre les mutilations sexuelles.

Des brochures et des affiches montrant une lame de rasoir barrée d'une ligne noire vont être distribuées un peu partout dans le pays de manière à souligner le caractère «barbare» de ces pratiques.

«Ni la tradition ni la coutume ne peuvent justifier une telle remise en cause des droits fondamentaux», a déclaré la secrétaire d'État à la solidarité, Valérie Létard, en précisant que plus de 50 000 femmes et fillettes vivant aujourd'hui en France ont été mutilées ou sont menacées de l'être.

L'approche répressive de l'excision, qui est aujourd'hui passible d'une lourde peine d'emprisonnement en France, n'a pas toujours fait consensus, souligne Justine Rocherieux, du Groupe pour l'abolition des mutilations sexuelles (GAMS).

Dans les années 80, relate-t-elle, deux camps s'opposaient à ce sujet. Le premier considérait l'excision comme une violence inacceptable faite aux femmes qui devait être réprimée avec la plus grande vigueur. L'autre arguait qu'il s'agissait d'une pratique culturelle traditionnelle qui ne pouvait être dénoncée sans tomber dans le «racisme, le néocolonialisme ou l'ethnocentrisme».

Médecins «aveugles»

Le point de vue répressif a fini par s'imposer, menant à la condamnation de plusieurs exciseuses d'origine africaine qui avaient transposé leur pratique en sol français.

Le cas le plus connu est survenu en 1999 lorsque la Cour d'assises de Paris a condamné à huit ans de prison ferme une femme d'origine malienne pour avoir excisé une cinquantaine de fillettes. «La décision a eu un effet très dissuasif», relate Mme Rocherieux.

Son effet a été renforcé par la sensibilisation du personnel des centres de protection maternelle et infantile, qui assurent un suivi des enfants français jusqu'à l'âge de 6 ans. Les examens du sexe des fillettes ont été systématisés, poussant les parents les plus déterminés à repousser l'intervention à l'adolescence pour échapper aux contrôles.

Des efforts de sensibilisation importants ont aussi été faits auprès des médecins français, qui ont longtemps été «aveugles» à la problématique de l'excision, relate le Dr Philippe.

Encore aujourd'hui, seules trois des facultés de médecine du pays incluent une formation à ce sujet dans leur curriculum de base. «Les choses bougent, mais lentement», indique le spécialiste.

Le dépistage est d'autant plus important, souligne-t-il, qu'une intervention chirurgicale relativement simple peut permettre aux femmes excisées de récupérer une part de la sensibilité perdue au niveau du clitoris.

«La plupart des femmes que je traite ont été excisées entre 3 et 5 ans et n'ont donc pas de souvenir de l'acte lui-même. Mais elles ont l'impression d'être anormales et disent qu'elles veulent être comme les autres Européennes», relate le praticien.