L'aile gauche du Parti démocrate a un nouveau héros depuis le 29 septembre. Ce jour-là, un obscur parlementaire de Floride répondant au nom d'Alan Grayson a prononcé dans l'enceinte de la Chambre des représentants un discours qui a connu un succès instantané sur YouTube et relancé le débat sur la civilité en politique américaine.

L'allocution de Grayson, qui se voulait hautement sarcastique, portait sur le «plan républicain» en matière de santé. «C'est un plan très simple», a déclaré le démocrate de 51 ans, affiches à l'appui, devant les caméras de la Chambre. «Le plan républicain pour l'Amérique en matière de santé est le suivant : ne tombez pas malade. C'est cela. Si vous n'avez pas d'assurance-maladie, ne tombez pas malade.»

Et Grayson d'ajouter, en posant sur un tréteau une nouvelle affiche sur laquelle on pouvait lire les mots Die quickly (en italiques) : «Bien sûr, ce n'est pas un plan à toute épreuve. C'est pourquoi les républicains ont une solution de rechange au cas où vous tombez malade. Si vous tombez malade, mourez vite. C'est cela. Les républicains veulent que vous mouriez vite si vous tombez malade.»

Les républicains ont aussitôt jeté les hauts cris, réclamant des excuses de la part de Grayson. Le lendemain, celui-ci est retourné en Chambre pour s'excuser, mais pas à ses adversaires politiques.

«Selon un rapport publié il y a deux semaines, 44 789 Américains sont décédés l'année dernière parce qu'ils n'avaient pas de couverture médicale, a-t-il dit. Ça fait dix fois plus de morts que le 11 septembre chaque année. Je m'excuse donc auprès des morts et de leurs familles pour ne pas avoir voté plus tôt la fin de cet holocauste.»

Son utilisation du mot holocauste a créé une autre controverse, mais Alan Grayson, élu pour la première fois à la Chambre des représentants en novembre 2008, était parti en orbite. Depuis son discours du 29 septembre, ce New-Yorkais d'origine a multiplié les entrevues à la télévision et recueilli des sommes d'argent considérables auprès de militants démocrates qui se cherchaient depuis longtemps une grande gueule capable de donner la réplique aux ténors les plus radicaux du Parti républicain.

Grayson a d'ailleurs été comparé à Joe Wilson, ce représentant républicain de Georgie qui est lui-même sorti de l'anonymat en criant «Vous mentez!» pendant un discours de Barack Obama sur la réforme de la santé devant les deux chambres du Congrès. À la suite de ce cri, Wilson a également réussi à regarnir sa caisse électorale, démontrant que l'incivilité peut être très payante en politique à l'heure des blogues, de YouTube et des chaînes d'information continue.

Cela dit, Grayson n'apprécie guère d'être comparé à Wilson. «Ce que j'ai fait est comparable à une chanson de contestation à la Bob Dylan. Ce que Joe Wilson a fait est comparable à un rot», a-t-il déclaré.

Né dans le Bronx au sein d'une famille d'enseignants juifs, Alan Grayson n'a rien d'un cancre. Étudiant brillant, il a décroché trois diplômes à Harvard avant de faire fortune en affaires et de pratiquer le droit. Au cours de la première année de son mandat à la Chambre, il a notamment parrainé une loi limitant les salaires et les bonus des patrons des compagnies ayant reçu l'aide de l'État.

Mais Grayson peut aussi être un très mauvais clown. Lors d'une entrevue récente à la télévision, il a comparé Dick Cheney à un vampire, disant avoir du mal à écouter l'ancien vice-président en raison «du sang qui s'égoutte de ses dents quand il parle». Interviewé à la radio, il a également traité de «putain de K Street» une ancienne lobbyiste d'Enron qui travaille aujourd'hui à la Réserve fédérale (plusieurs cabinets de lobbyistes ont pignon sur K Street à Washington). Critiqué de toutes parts, il a fini par s'excuser auprès de la femme.

Mais Alan Grayson était de nouveau sur la brèche la semaine dernière, récitant en Chambre le nombre d'Américains morts dans chacune des circonscriptions représentées par des républicains parce qu'ils n'avaient pas de couverture médicale. Il a également récolté plus de 500 000$ en une seule journée, via internet.

Pas de quoi encourager une grande gueule à se la fermer.