Un ancien joueur de rugby paraplégique, une naine au chômage, une malentendante enceinte, une scientifique défigurée par une malformation de la mâchoire... Voici quelques-uns des personnages d'une série pas ordinaire. Pour la première fois, une chaîne généraliste britannique braque ses caméras sur six acteurs handicapés dans Cast Offs, une parodie audacieuse de la téléréalité. Au menu: sexe, sentiments et sarcasme.

Une fiction télévisée avec des héros handicapés peut-elle captiver un grand public? C'est le pari que s'est donné Channel 4. Le réseau passera à l'histoire ce soir avec la diffusion fort attendue du premier des six épisodes de Cast Offs.

 

Son format est un croisement entre la série Lost et l'émission de téléréalité Survivor. Toutefois, le ton est mordant et les thèmes sont crus. Les acteurs n'ont pas des gueules de mannequin, mais leurs rôles sont très intéressants.

Au cours des six prochaines semaines, les téléspectateurs britanniques apprendront que les gens handicapés peuvent être touchants, drôles et bêtes comme les autres.

Dans la première partie, les faux participants s'installent dans l'île où ils devront survivre pendant trois mois. Dès les premières minutes, Gaby, sourde et enceinte, annonce à la naine Carrie qu'elle ne peut pas lire sur ses lèvres, car «elles sont trop petites».

Carrie, de son côté, fait des avances à Dan, le jeune sportif cloué à son fauteuil roulant depuis un accident de voiture. Un retour en arrière montre le jeune homme en train de chanter en choeur avec des copains: «Je suis un homme dans une chaise, boum boum, et j'ai des poils pubiens...»

Ni anges ni démons

On l'aura compris: il n'y a pas de sujet tabou pour les auteurs de la série écrite à trois mains. Un d'entre eux est en terrain connu. Jack Thorne, réputé scénariste de télévision (Skins, Shameless), souffre d'urticaire chronique depuis neuf ans. Il est allergique à l'eau et à sa propre chaleur corporelle, et beaucoup d'activités lui sont proscrites.

Il tenait à éviter l'angélisme et le misérabilisme dans lesquels sont souvent moulés les handicapés à la télévision. «Notre but, c'est que le public finisse par oublier les imperfections physiques des insulaires», dit-il en entrevue téléphonique.

Le personnage introverti d'April est peut-être le plus troublant. L'actrice Victoria Wright, atteinte de chérubisme, une rare maladie osseuse, a un menton excessivement large et des yeux globuleux. Lors d'un épisode consacré à l'héroïne qu'elle incarne, un inconnu la photographie dans la rue, comme dans un cirque.

«Cette scène me bouleverse. J'espère qu'elle choquera aussi les téléspectateurs», dit Jack Thorne.

Le vent tourne

Cast Offs, expression signifiant à la fois des naufragés et des acteurs exclus des auditions, n'arrive pas trop tôt pour les 12% de la population britannique qui souffrent d'un handicap.

Un fait que la distribution de la fiction a relevé maintes fois en entrevue. «J'attends depuis si longtemps que la télévision reflète la réalité, ce qu'elle semble incapable de faire. Il était temps qu'un projet comme celui-ci arrive!» a déclaré au Guardian l'acteur Mat Fraser, dont les bras sont atrophiés en raison des effets de la thalidomide.

Néanmoins, Ian Macrae, éditeur de la publication Disability Now, sent que le vent tourne. «Les téléromans commencent à introduire des personnages avec des déficiences. Il y a cinq ans encore, nous étions invisibles au petit écran», dit le journaliste aveugle.

Il poursuit: «J'espère qu'avec plus de bonnes émissions comme celle-ci, notre présence à l'écran deviendra aussi banale que celle des personnages de race noire.»