Comment se souvenir de Joseph Staline? La mairie de Moscou a décidé de placarder des portraits du dictateur soviétique dans la capitale en prévision du 65e anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale, le 9 mai. Les vétérans s'en réjouissent; les défenseurs des droits de l'homme enragent. La majorité, elle, a des sentiments partagés à l'égard du «Petit père des peuples».

Au front, Oleg Rjechevski a combattu l'armée hitlérienne «Pour la patrie! Pour Staline!» comme le voulait la propagande soviétique. Aujourd'hui encore, l'historien de 85 ans ne renie pas son enthousiasme de jeune soldat. 

«L'histoire, c'est l'histoire, et nous devons nous en souvenir. Il avait une grande autorité dans le peuple, c'est comme ça», tranche M. Rjechevski. Le président de l'Association russe des historiens de la Seconde Guerre mondiale considère toujours que, malgré ses erreurs et sa «répression infondée», Staline était «un leader digne pour les forces armées du pays».

Si les vétérans et le Parti communiste n'ont jamais cessé de brandir son portrait à chaque commémoration depuis la chute de l'URSS, le pouvoir russe l'avait exclu des célébrations officielles. Toutefois, l'image de Staline sera à nouveau reproduite à même les fonds publics et affichée dès le mois d'avril dans le centre-ville de Moscou. Des stands d'information expliqueront son rôle dans la victoire.

Selon Oleg Rjechevski, les autorités moscovites ont pris une décision «juste». «La tragédie comme la victoire sont liées à son nom», plaide-t-il. La tragédie, ce sont les quelque 25 millions de civils et de militaires soviétiques qui ont péri de 1941 à 1945. Quatre ans plus tôt, croyant son pouvoir contesté, Staline avait fait fusiller plusieurs commandants soviétiques, affaiblissant du même coup l'Armée rouge.

Ses détracteurs estiment ainsi que la guerre a été gagnée non pas grâce à Staline, mais en dépit de lui.

Protestations

De l'avis de Lev Ponomarev, directeur de l'ONG pour les droits de l'homme, la réapparition de portraits officiels de celui qui a envoyé aux travaux forcés et au peloton d'exécution des millions de Soviétiques durant les 31 ans de son règne serait tout simplement «une catastrophe».

Dès que la mairie de Moscou a fait connaître son intention, M. Ponomarev a lancé une pétition pour protester contre cette initiative. Il sait toutefois que l'opposition russe, qui compte des démocrates et des communistes, ne pourra jamais faire front commun sur cette question. La Russie moderne n'a jamais réellement débattu de l'héritage de l'empire soviétique déchu et de son leader le plus contesté pour déterminer leurs bons et mauvais aspects.

«Dans la tête de tous les Allemands, à partir de l'enfance, il est clair qu'Hitler était l'ennemi du peuple allemand, qu'il a causé un grand tort au pays, souligne Lev Ponomarev. Ici, plusieurs citoyens vivent et vont mourir avec le sentiment que c'est Staline qui a remporté la guerre. Ça prendra quelques générations avant qu'on puisse se défaire de cette maladie», dit-il en parlant du stalinisme.

Dirigeants ambivalents

Un récent sondage révèle que 54% des Russes admirent toujours Staline, mort en 1953.

Dans les hautes sphères du pouvoir russe, le leader sanguinaire est tantôt défendu contre les critiques étrangères, tantôt dénoncé pour ses excès. Même le premier ministre Vladimir Poutine, homme fort de la Russie qui établit souvent une ligne de pensée à suivre pour l'élite politique, n'arrive pas à se prononcer clairement sur la question. Au mois de décembre, il a expliqué que «tout événement historique doit être analysé dans sa totalité».

«Personne ne peut jeter la pierre à ceux qui ont organisé et étaient à la tête de cette victoire puisque, si nous avions perdu cette guerre, les conséquences pour notre pays auraient été beaucoup plus catastrophiques», avait-il déclaré à la télévision. Souvent accusé de vouloir faire renaître les symboles du stalinisme, Vladimir Poutine a précisé du même souffle qu'une «telle façon de diriger l'État, d'atteindre des résultats», en commettant des «crimes de masse contre son propre peuple», est «inadmissible».

 

 

Le stalinisme en chiffres

> Les famines punitives (1931-1933) ont fait entre 4,5 et 8 millions de victimes, dont la moitié en Ukraine.

> Lors des grandes purges de l'armée et du Parti communiste (1937-1938) 750 000 sont mortes et autant ont été déportées.

> Selon les estimations, de 10 à 18 millions de personnes seraient passées par les goulags (camps de travaux forcés) entre 1930 et 1953, année de la mort de Staline. Une bonne partie des prisonniers y sont morts de faim, de froid, de maladie ou ont été fusillés.