Depuis la mi-mars, les États-Unis procèdent au recensement décennal de leur population, un exercice qui force les habitants de ce pays à se pencher sur la question jamais arrêtée de leur identité. Exercice d'autant plus controversé que le jour approche où les Blancs joindront les rangs des minorités.

Quelle est la «race» d'un enfant né d'un père afro-américain et d'une mère d'origine iranienne? Christopher Hill, le père en question, a éprouvé un embarras certain en tentant de répondre à cette interrogation, la neuvième du recensement décennal aux États-Unis.

Il ne s'est pas tant formalisé de l'emploi du mot «race» par son gouvernement, qui ne met pas en cause l'acceptation de l'unicité de l'espèce humaine, que par les 15 choix raciaux ou ethniques s'offrant à lui.

«Nous nous sommes sentis limités», a raconté cet ingénieur new-yorkais, quelques jours après avoir rempli et posté le formulaire adressé aux 112 millions de foyers américains. «Nous aurions vraiment voulu identifier notre fils comme étant "multiracial" mais, comme il n'existait pas une case offrant ce choix, nous avons opté pour la deuxième meilleure solution.»

Ainsi, comme le Bureau de recensement l'autorise depuis 2000, le jeune père de famille a coché plus d'une case pour définir la «race» de son fils, soit la case «Noir, Africain-Américain ou Nègre» et la case «autre race», en précisant «Perse». Comme les Arabes ou les Turcs, les Perses n'ont pas droit à leurs propres cases dans le recensement 2010, contrairement aux Japonais, aux Chinois ou aux Vietnamiens, entre autres.

Autre source de frustration pour Christopher Hill: la présence dans le recensement 2010 du mot «nègre» (negro en anglais), dont se servent encore certains Afro-Américains plus âgés pour s'identifier.

«C'est un terme complètement dépassé. J'espère qu'il ne sera plus là en 2020», dit-il.

Les Blancs minoritaires vers 2043

L'expérience de Christopher Hill et de sa famille n'est ni unique ni nouvelle. Une fois tous les 10 ans, sur injonction constitutionnelle, les États-Unis procèdent au recensement de leur population, s'intéressant en particulier à l'identité ethnique de leurs habitants, qu'ils soient ou non citoyens. Il en découle des controverses qui en disent long sur la place centrale qu'occupe la question raciale dans ce pays.

«En 2000, la grande controverse portait sur l'autorisation de cocher pour la première fois plus d'une case à la question sur la race», dit Ann Morning, professeure de sociologie à l'Université de New York. «Cette année, c'est le mot "negro" qui semble soulever la controverse et attirer l'attention des médias.»

Posée depuis le tout premier recensement américain en 1790, la question sur la race est aujourd'hui nécessaire à l'application des lois sur les droits civiques ainsi qu'au découpage des circonscriptions électorales. Elle contribue également à évaluer l'équité raciale dans l'emploi, l'éducation et la santé. Mais son plus grand impact est peut-être sur l'idée même que se font les Américains de leur pays.

«Une des données du dernier recensement qui a surpris plusieurs personnes est celle selon laquelle la population blanche non hispanique décline de façon constante, de sorte qu'on prévoit que les Blancs perdront leur majorité vers 2043», dit la professeure Morning.

«C'est le genre de donnée qui a un impact sur la façon dont les gens voient leur pays, sur ce qu'ils ressentent à son égard. Dans ce cas-ci, c'est une donnée que plusieurs personnes ont trouvé alarmante.»

«Américain», et rien d'autre

C'est notamment le sentiment de certains Blancs conservateurs, qui contestent la question 9 sur la race. Ainsi, à la veille du lancement de la période du recensement actuel, Mark Krikorian, directeur du Centre d'études sur l'immigration, a encouragé ses concitoyens à se contenter d'écrire «Américain» en réponse à cette interrogation et de ne pas préciser leurs origines ethniques.

«C'est une réponse véridique, mais en même temps elle permet aux citoyens ordinaires d'exprimer leur rejet des programmes inconstitutionnels fondés sur les classifications raciales», a écrit Krikorian dans son blogue. «En fait, "Américain" était le choix d'une majorité de répondants au recensement de 2000 dans quatre États et dans des centaines de comtés», a-t-il ajouté.

Plusieurs commentateurs et blogueurs conservateurs, dont Rush Limbaugh, Glenn Beck et Michelle Malkin, se sont faits l'écho de la suggestion de Mark Krikorian.

«Au moins, en 1790, ils posaient la question sur la race pour freiner l'esclavage», a déclaré Beck lors de son émission radiophonique. «Aujourd'hui, ils posent la question pour augmenter l'esclavage, votre dépendance envers le maître de Washington. Que nenni! Ne répondez pas à cette question.»

Il faudra attendre la publication des premières données du Bureau du recensement pour juger de l'impact de cette campagne. Une chose est certaine, cependant: le portrait des États-Unis continuera à devenir de plus en plus «multiracial», même si cette catégorie n'a pas encore sa case dans le recensement.===

Le choix de Barack Obama

Barack Obama aurait pu cocher plus d'une case pour répondre à la question sur la race du recensement 2010. Après tout, il est issu du mariage entre un Noir du Kenya et une Blanche du Kansas.

Mais, assis au Bureau ovale et devant l'objectif du photographe officiel de la Maison-Blanche, le président des États-Unis a soulevé une minicontroverse le 30 mars en se contentant de cocher la case «Noir, Africain-Américain ou Nègre». Parmi ces formules, laquelle Barack Obama préfère-t-il?

«Africain-Américain», a répondu le porte-parole de la Maison-Blanche, Robert Gibbs.

C'est désormais officiel, a blagué le New York Times: «Barack Obama est le premier président noir des États-Unis.»

Mais il s'est trouvé des critiques pour reprocher au président d'avoir rejeté, par sa réponse, son héritage blanc.

Les États-Unis en chiffres

Estimation de la population américaine le vendredi 9 avril 2010 à 16h27 GMT:

309 033 553

Pourcentage de Blancs non hispaniques en 2008:

65,6%

Pourcentage d'hispaniques ou de Latinos en 2008:

15,4%

Pourcentage de Noirs en 2008:

12,8%

Pourcentage d'Asiatiques en 2008:

4,5%

Le revenu médian des foyers américains en 2008:

52 029$

Pourcentages d'Américains vivant sous le seuil de la pauvreté en 2008:

13,2%

Source: Bureau du recensement des États-Unis