Moins d'une semaine après avoir annoncé qu'il allait légiférer pour interdire le port de la burqa et du niqab en public, le gouvernement français passe à l'attaque sur le front de la polygamie. Et il se voit accuser, encore une fois, de stigmatiser indûment la communauté musulmane en évoquant un enjeu marginal.

Le ministre de l'Immigration, Éric Besson, a indiqué hier qu'une révision des lois existantes pourrait être nécessaire pour démettre de leur nationalité française les personnes naturalisées qui s'adonnent à la polygamie tout en fraudant l'aide sociale.

«Si le peuple français considère qu'on ne peut pas frauder dans ces conditions... Eh bien, à ce moment-là, sous l'arbitrage du président de la République et du premier ministre, on pourrait très bien concevoir une évolution législative», a indiqué M. Besson en entrevue à la radio.

«Le conditionnel est de rigueur», a-t-il précisé, en relevant que rien n'était décidé à ce sujet.

La sortie du ministre survient à la suite d'une fin de semaine riche en rebondissements, qui a vu un singulier fait divers prendre l'envergure d'une affaire nationale.

Elle a débuté vendredi lorsqu'une femme portant le niqab a tenu une conférence de presse à Nantes pour dénoncer le fait qu'un policier lui a remis récemment une contravention pour conduite «dans des conditions non aisées».

Avec quatre femmes

Écartant la question de la contravention, le ministre de l'Intérieur, Brice Hortefeux, a réagi en écrivant une lettre à son homologue de l'Immigration pour lui demander d'enquêter sur le mari de la plaignante, Lies Hebbadj.

Cet homme d'origine algérienne, naturalisé français grâce à son mariage en 1999 avec la conductrice sanctionnée, milite au sein d'une organisation intégriste et vit avec quatre femmes qui bénéficient toutes d'une aide «pour parent isolé», avance au conditionnel M. Hortefeux, en rappelant que la polygamie est illégale.

Il demande du coup au ministre de l'Immigration de «bien vouloir faire étudier» les conditions dans lesquelles ces faits, «s'ils sont avérés», pourraient mener au retrait de la nationalité française de M. Hebbadj.

Plusieurs médias français ont affirmé ensuite que l'homme, gérant d'un commerce hallal, a eu une douzaine d'enfants avec trois femmes vivant dans des pavillons adjacents en banlieue de Nantes.

Le principal intéressé a finalement réagi hier en relevant qu'il ne faisait l'objet d'aucune poursuite. Et qu'il n'y avait rien de problématique au fait d'avoir des «maîtresses».

«Si on est déchu de sa nationalité pour avoir des maîtresses, il y a beaucoup de Français qui seraient déchus de la nationalité», a-t-il ironisé.

«Événement insignifiant»

La loi actuelle permet de déchoir quelqu'un de sa nationalité française pour des crimes graves comme l'espionnage ou le terrorisme. Une personne ayant trompé les autorités pour obtenir sa naturalisation peut cependant se voir infliger une telle sanction, qui pourrait peut-être s'appliquer s'il s'avère que l'homme a caché l'existence d'autres unions formelles au moment de son mariage de 1999.

Le collectif des mosquées de Nantes a déploré «qu'encore une fois, les musulmans et l'islam aient été fortement médiatisés par rapport à un événement insignifiant, non représentatif de leur immense majorité». Le Conseil français du culte musulman a parlé pour sa part d'un «élément marginal qui a pris beaucoup d'importance».

Plusieurs élus de gauche ont embrayé le pas, en accusant le gouvernement de vouloir «instrumentaliser» le cas pour afficher une fermeté susceptible de plaire à son électorat traditionnel.

Les élus du Nouveau centre, pourtant alliés au gouvernement, ont aussi exprimé des critiques. Il faut éviter, a souligné la formation, «un emballement politique, médiatique, social qui conduit une nouvelle fois à une stigmatisation d'une partie de notre population».

«On ne peut pas dire parce qu'on stigmatise des dérives de l'islam... qu'on s'en prend aux musulmans. Ce sont deux sujets distincts», rétorque Éric Besson.