L'accès à l'avortement est garanti par la loi depuis 35 ans en France, mais ce droit est de plus en plus souvent bafoué en raison des restrictions budgétaires imposées par l'État.

Tel est, du moins, le constat des principales organisations pro-avortement du pays, qui organisent une manifestation nationale au mois de novembre pour faire entendre leurs inquiétudes au gouvernement.

«Entre 2000 et 2006, plus d'une centaine de centres qui pratiquaient des interruptions volontaires de grossesse (IVG) ont fermé leurs portes. Et la liste continue de s'allonger», souligne Maya Surduts, de la Coordination des associations pour le droit à l'avortement et à la contraception.

La militante a été de tous les combats des dernières décennies pour défendre le droit acquis en 1975 par l'adoption de la loi Veil. Elle a notamment manifesté, dans les années 90, lorsque des «commandos» pro-vie ont commencé à s'enchaîner dans des blocs opératoires pour empêcher des interventions.

«Ces gens-là doivent être très contents, aujourd'hui... Ils n'ont plus besoin d'agir, les pouvoirs publics s'en chargent», déplore Mme Surduts.

Des médecins réticents

La rationalisation des services publics, qui s'accompagne d'une restructuration draconienne du réseau hospitalier, complique la tâche des femmes qui veulent obtenir une IVG, confirme Marie-Laure Brival, chef de service de la Maternité des Lilas, à la périphérie de Paris.

«Pour beaucoup de femmes, l'accès à l'IVG devient un parcours du combattant. Elles doivent aller de clinique en clinique pour trouver une place», souligne la spécialiste.

Faute de services, il faut parfois attendre plusieurs semaines pour obtenir l'intervention demandée alors que le délai de prise en charge préconisé par la Haute Autorité de santé est de cinq jours.

«Cette durée tend à augmenter durant l'été, car plusieurs cliniques ferment pour les vacances», souligne Mme Brival, qui craint de voir la loi sur l'avortement se transformer en «loi de papier».

Les résistances institutionnelles dans le réseau de la santé contribuent aussi au problème, souligne Danielle Gaudry, gynécologue-obstétricienne qui pratique dans le Val-de-Marne.

Beaucoup de médecins dédaignent l'avortement parce que la pratique n'est pas considérée comme prestigieuse.

Le manque de relève s'annonce particulièrement problématique. «Il y a eu toute une vague de médecins militants qui ont lutté pour ce droit et qui s'apprêtent à prendre aujourd'hui leur retraite sans que des jeunes médecins soient prêts à prendre la relève», relève Mme Gaudry.

Influence religieuse

Dans un rapport paru en 2009, l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) se montre moins inquiète.

L'organisme note que le délai d'accès à l'avortement dans les établissements «s'est dans l'ensemble amélioré (depuis 2001) et se rapproche dans la plupart des cas de la norme de cinq jours». Le rapport relève cependant la «persistance de goulots d'étranglement» dans certaines zones de forte demande où l'accès accru à l'avortement médicamenteux n'a pas suffi à résorber l'attente.

Les organisations pro-avortement s'inquiètent aussi de l'action des groupes religieux, qui ont délaissé les coups d'éclat sur la place publique pour concentrer leur action sur le plan juridique.

L'adoption par le gouvernement d'une loi permettant d'inscrire dans le carnet de famille le nom d'un foetus mort-né est une illustration des efforts en cours pour donner au foetus un statut juridique et restreindre le droit à l'avortement, dit Mme Gaudry.

Maya Surduts soupçonne le gouvernement français d'être très sensible aux revendications des milieux catholiques.

Difficile de savoir, dit-elle, ce qui motive vraiment les coupes dans les services. «On ne sait pas trop ce qui prime, au gouvernement, entre la volonté d'imposer la loi du fric et de la rentabilité et celle de privilégier l'Église catholique», souligne-t-elle.

«Accueillir la vie»

L'Alliance pour les droits de la vie ne comprend pas que les groupes pro-avortement s'inquiètent de l'accessibilité de l'IVG, permise sans restriction en France jusqu'à 12 semaines de grossesse.

«Je ne saisis pas cette position victimiste qui n'est pas fondée... L'accès tend à augmenter, pas à diminuer», déclare la secrétaire générale de l'organisation, Caroline Roux, qui défend «le respect de la vie».

La hausse récemment annoncée par le gouvernement des honoraires versés pour cet acte médical n'est que la plus récente indication de la volonté du gouvernement de soutenir l'accès à l'IVG, souligne la porte-parole, qui juge le nombre d'avortements beaucoup trop élevé dans le pays.

L'Alliance estime qu'il faut mieux informer les femmes enceintes des ressources qui peuvent les aider à mener à terme leur grossesse de manière à éviter qu'elles soient «précipitées dans l'avortement».

Certaines organisations catholiques, soucieuses de soutenir les femmes qui décident de renoncer à l'avortement, continuent d'ouvrir des services de soutien.

C'est le cas de la communauté des Filles de la Charité, qui a inauguré il y a quelques mois à Neuilly, en banlieue parisienne, un centre d'accueil pour aider de jeunes femmes enceintes et en détresse à «accueillir la vie».

«Nous avons actuellement cinq places, mais notre objectif est de passer à vingt-quatre. Il y a beaucoup de demande», souligne soeur Rosalia, qui s'inquiète aussi du nombre d'avortements pratiqués en France.

Restrictions en Europe

La plupart des pays européens permettent l'avortement sans restriction jusqu'à 12 ou 14 semaines de grossesse et imposent des restrictions pour les interventions plus tardives. Quelques pays, comme la Grande-Bretagne, sont plus permissifs et fixent la limite à 24 semaines. Le premier ministre de ce pays a récemment répété qu'il lui semblerait «raisonnable» de réduire ce seuil à 20 ou 22 semaines, mais aucun projet de loi n'est en préparation. En Espagne, les dirigeants du Parti populaire ont déposé il y a quelques semaines une requête devant le Tribunal constitutionnel visant à invalider une loi, introduite en février par le gouvernement socialiste, qui permet l'avortement en toute liberté jusqu'à 14 semaines de grossesse.

Photo pierre andrieu, agence france-presse

Des femmes manifestent pour le droit à l'avortement lors d'une marche pro-choix organisée à Bordeaux, en mai dernier. Plusieurs s'inquiètent du laisser-faire étatique face à la fermeture de centres offrant des interruptions volontaires de grossesse.