Le filtrage de l'internet, qui vise à bloquer l'accès à un contenu problématique provenant de l'étranger, gagne du terrain en Europe en alimentant du même coup les craintes de «censure». La France n'échappe pas à cette tendance, comme le démontre un jugement rendu la semaine dernière contre un site de jeu en ligne illégal.

Le Tribunal de grande instance de Paris a ordonné aux fournisseurs d'accès du pays d'empêcher les internautes français d'accéder à stanjames.com par «toutes les mesures» possibles de filtrage, faute de quoi ils s'exposent, d'ici deux mois, à une amende de 10 000 euros par jour.

La décision a été rendue à la demande de l'Autorité de régulation des jeux en ligne (ARJEL), qui avait sommé en vain la société responsable du site de cesser d'offrir ses services en France au motif qu'elle n'avait pas les autorisations nécessaires.

Faute de réponse, l'ARJEL a ciblé l'hébergeur du site, dont le siège est en Grande-Bretagne, lequel n'a pas non plus répondu, et les fournisseurs d'accès français.

Orange, SFR, Free et les autres firmes visées ont protesté vivement contre la demande de l'ARJEL, arguant que le filtrage serait inefficace, très coûteux et potentiellement nuisible à d'autres sites, qui pourraient être bloqués involontairement.

Sonner l'alarme

L'Association des fournisseurs d'accès et de services internet (AFA) s'oppose de manière générale aux pratiques de filtrage. «Ça nous paraît complètement inefficace», a confirmé cette semaine une représentante de l'organisation.

Les expériences menées à l'étranger, insiste l'AFA, ont démontré que les internautes trouvent immanquablement des stratégies de contournement. Le filtrage d'un site peut par ailleurs avoir un effet publicitaire indésirable. Ce fut le cas il y a quelques années pour un site révisionniste hébergé aux États-Unis et bloqué en France.

Les fournisseurs d'accès français pensent que la meilleure manière de s'en prendre aux contenus illégaux est d'intervenir à la source en amenant ceux qui les hébergent à les fermer.

Jérémie Zimmermann, porte-parole de la Quadrature du Net, organisation de défense des droits des internautes, craint que ces technologies, efficaces ou pas, soient appliquées à un nombre croissant de domaines.

Du contrôle des jeux en ligne, on pourrait passer au contenu pornographique avant d'aboutir aux insultes au président, redoute le militant. «Tous les pays du monde qui ont mis en place des systèmes de filtrage le font à des fins de censure. C'est la réalité», dit-il.

L'internet menacé?

Le directeur du bureau régional européen de l'Internet Society, organisme international indépendant, pense aussi qu'il faut sonner l'alarme face à cette pratique. Frédéric Donck dénonce la volonté des gouvernements du continent de mettre en place un «filtrage généralisé». L'internet est «sérieusement menacé», a-t-il récemment affirmé au quotidien Le Soir.

L'État français a déjà introduit dans une loi sur la sécurité intérieure (que le Sénat n'a pas encore approuvée) un article qui obligerait les fournisseurs d'accès à filtrer les sites de pornographie juvénile.

Le gouvernement songe aussi à utiliser le filtrage pour contrer le téléchargement illégal. Le président Sarkozy a déclaré en janvier, dans un discours prononcé devant des acteurs du monde de la culture, qu'il faut «expérimenter sans délai les dispositifs» de ce genre pour «dépolluer» l'internet.

Cet intérêt se reflète dans un autre rapport gouvernemental récent qui présente le filtrage comme «une nécessité» pour contrer les agissements illicites. On y énumère une série d'activités à cibler en terminant par un «et caetera» ambigu qui ne manquera pas, au dire du quotidien Libération, d'alimenter les craintes de ceux qui redoutent «une véritable censure de l'internet».