Saleh Sbenaty a vécu dans la peur, au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, une période où les musulmans des États-Unis craignaient des représailles. Aussi, un jour qu'il marchait avec sa femme, coiffée du foulard islamique, cet universitaire syrien naturalisé américain se crispa-t-il en voyant s'approcher une famille de chrétiens.

Un membre de cette famille lui a dit, sur un ton qui se voulait rassurant: «S'il vous plaît, n'ayez pas peur. Nous savons que votre religion n'est pas responsable des attaques. Ces attaques ont été commises par des terroristes. S'il vous plaît, sentez-vous en sûreté.»

Neuf ans plus tard, Saleh Sbenaty raconte cette anecdote pour expliquer le choc que plusieurs autres musulmans de Murfreesboro, comme lui, ressentent face à l'opposition parfois virulente, voire violente, que soulève le projet de construction d'un centre islamique aux abords de cette ville, située à 45km au sud-est de Nashville, en plein centre du Tennessee.

Cet été, des opposants sont descendus dans la rue pour protester contre ce que certains appellent un «camp d'entraînement pour terroristes». Des pasteurs locaux ont dénoncé l'islam. Et, le matin du 28 août, quelqu'un a mis le feu à quatre engins de machinerie lourde sur le chantier de la future mosquée, un acte criminel sur lequel enquête le FBI.

«Je vis au Tennessee depuis 30 ans et je n'ai jamais vu un tel degré d'hostilité à l'égard des musulmans et de l'islam. Cela fait partie d'un phénomène que l'on peut observer à l'échelle du pays», dit Saleh Sbenaty, professeur de génie électrique à la Middle Tennessee State University, deuxième employeur de Murfreesboro après le gouvernement du comté de Rutherford, qui y a son siège. Dans cette ville en pleine expansion, la population est passée en cinq ans de 81 000 à 102 000 habitants.

La peur d'être envahis

Microcosme américain, Murfreesboro accueille des musulmans depuis au moins 30 ans. Fuad Ahmad, propriétaire d'une station d'essence, se souvient de l'époque où il priait dans un appartement avec une vingtaine de coreligionnaires. Aujourd'hui, il fréquente le Centre islamique de Murfreesboro, dans une zone industrielle de la ville, dont la salle de prière est désormais trop petite pour accueillir ses quelque 1000 membres. D'où la construction d'un nouveau centre, qui abritera non seulement un lieu de culte, mais également une piscine et un gymnase, entre autres choses.

«Je ressens autant de fierté à voir croître la communauté musulmane de Murfreesboro qu'à voir grandir mon fils aîné», dit Fuad Ahmad, né au Koweït de parents palestiniens. «Mais je pense que certains chrétiens ont peur d'être envahis par les musulmans. Je dis "certains" parce que la grande majorité des chrétiens nous appuient.»

Comme d'autres musulmans de Murfreesboro, Fuad Ahmad tient à préciser que l'opposition au centre islamique n'est pas généralisée dans la population locale. Il en veut pour preuve la réaction des clients de son garage aux incidents qui ont secoué la ville dans les dernières semaines.

«Plusieurs d'entre eux s'excusent de ce qui s'est passé. D'autres disent qu'ils ont honte de ce que les gens ont fait. Certains font même des dons de 10, 15$ pour la construction du centre», dit le garagiste de 39 ans en fumant une cigarette à l'extérieur de la mosquée, après la prière du soir.

Dans la mosquée, un mur est couvert de messages d'appui reçus après l'incendie criminel du 28 août. L'un d'eux est signé par un pasteur épiscopalien, qui compare l'intolérance de certains chrétiens face à la construction de mosquées à celle que d'autres manifestent à propos de l'ordination d'homosexuels dans son Église.

Tout en se réjouissant de ces témoignages d'appui, l'imam Ossama Bahloul se dit consterné par l'attitude de certains membres du clergé local.

Obama n'a pas aidé

«Je peux comprendre l'incompréhension des individus envers l'islam, mais je suis estomaqué de voir certains membres du clergé répandre des faussetés sur notre religion. Il me semble que notre responsabilité première, en tant que religieux, est de contribuer à la paix, et non pas de jeter de l'huile sur le feu», dit l'imam Bahloul, d'origine égyptienne, qui a prêché dans des mosquées du Texas avant d'arriver à Murfreesboro en 2008.

Cette semaine, le pasteur Joshua-Paul Johnian a donné un exemple de l'attitude que déplore l'imam Bahloul dans un article d'opinion publié dans le Tennessean, quotidien de Nashville, où vivent plus de 60 000 musulmans: «L'islam continue de menacer tout mode de vie, toute pratique culturelle et toute foi qui refusent de s'agenouiller devant Allah et son prophète Mahomet. La mosquée de Murfreesboro, quel que soit l'endroit où elle sera construite, ne visera qu'à renforcer ce message», a-t-il écrit.

Certains candidats aux élections locales, prévues en novembre, ont tenu des propos semblables dans les derniers mois.

«Les élections n'ont pas aidé notre cause», dit Camie Ayash, porte-parole du Centre islamique de Murfreesboro. «Il y a des candidats qui font campagne contre la mosquée en disant: "Nous voulons combattre le terrorisme, nous voulons préserver la pureté de l'Amérique."»

Choudhury Salekin, neurologue originaire du Bangladesh, estime pour sa part que les manifestations d'hostilité vis-à-vis des mosquées participent d'un phénomène d'intolérance qui remonte à la campagne présidentielle de Barack Obama.

«À partir du moment où les gens ont commencé à soulever des questions sur la religion de Barack Obama, j'ai noté un changement graduel dans la rhétorique antimusulmane», dit ce médecin formé à Harvard. «Trois ans plus tard, des figures politiques comme Sarah Palin et Newt Gingrich accusent implicitement les musulmans d'être responsables des attentats du 11 septembre, et le réseau de télévision Fox News consacre des émissions entières à la dénonciation de l'islam.»

Tomber amoureux des États-Unis

Le président Obama, en raison même des doutes qui subsistent sur sa religion, n'est pas en mesure de combattre efficacement cette peur de l'islam qui couve aux États-Unis, selon le Dr Salekin.

«Après les attentats du 11 septembre, George W. Bush s'est rendu dans une mosquée pour rappeler que l'islam est une religion de paix et que les musulmans font partie intégrante de la société américaine, dit-il. Barack Obama ne pourrait pas faire la même chose. Il a d'ailleurs dû revenir sur sa première déclaration en faveur de la mosquée près de Ground Zero.»

Malgré tout, un musulman peut tomber amoureux des États-Unis dans une ville comme Murfreesboro. C'est arrivé à au moins deux étudiants d'origine saoudienne, Ossama Nuwisser et Ali Alamri, qui fréquentent la Middle Tennessee State University.

«J'ai eu un choc culturel lors de ma première année ici», dit Ossama, 21 ans, qui entreprend sa deuxième année d'études en génie civil. «J'ai dû m'adapter à une nouvelle langue, à une nouvelle ville, à de nouvelles personnes, etc. Mais je considère aujourd'hui l'Amérique comme ma mère. Je veux devenir citoyen, je veux devenir père et avoir un enfant américain.»

Quand on lui demande ce qu'il trouve de si extraordinaire chez les Américains, il répond en trois mots: «Intelligence, liberté, gentillesse.»

Hochant la tête, son camarade, âgé de 25 ans, ajoute: «Avant d'arriver ici, j'avais peur de la réaction des gens. Je pensais qu'on m'en voudrait parce que je suis musulman et saoudien. Mais tout le monde est très gentil, très serviable, très bon.»

Deux mois après son arrivée au Tennessee, Maali Alshli est beaucoup moins emballée. L'étudiante saoudienne de 25 ans estime que Murfreesboro est une ville moins hospitalière que San Diego, où elle a étudié l'anglais pendant un an.

«C'était plus facile en Californie, dit-elle. Les Américains étaient plus gentils là-bas. Ils ne me faisaient pas de remarques désobligeantes sur mon foulard. Ici, c'est complètement différent, des gens m'ont arrêtée dans la rue pour me dire de l'enlever.»

Photo: Don Emmert, AFP

Toujours à New York, la communauté musulmane a quand même reçu l'appui de nombreux citoyens en faveur de la construction du fameux complexe islamique.