Les jours du puissant maire de Moscou à la tête de la capitale russe sont comptés. En voulant semer la zizanie entre le président Dmitri Medvedev et le premier ministre Vladimir Poutine, Iouri Loujkov a récolté leur colère. Pour le discréditer, le Kremlin s'est lancé dans une fronde médiatique sans précédent.

«Pourquoi Moscou étouffait dans la fumée alors que son maire sauvait ses abeilles?» demande le narrateur d'un ton grave. C'est le genre de critique que Iouri Loukjov n'avait pas essuyée depuis plus d'une décennie à la télé russe. Mais depuis la semaine dernière, les «enquêtes» compromettantes à l'endroit du maire de Moscou inondent les chaînes fédérales, minutieusement contrôlées par le Kremlin.

Vendredi, NTV a ouvert le bal. La chaîne, propriété du géant gazier d'État Gazprom, a diffusé un documentaire intitulé «L'affaire est dans la casquette», en référence au couvre-chef distinctif du maire.

Incendies de forêt

Le reportage accusait notamment Loujkov d'avoir laissé tomber ses concitoyens durant les incendies de forêt de cet été. Alors que sa ville était asphyxiée par la fumée, il avait attendu plusieurs jours avant d'interrompre ses vacances à l'étranger.

À son retour, note le narrateur, le maire a débloqué 105 millions de roubles (3,5 millions de dollars) pour les soins aux victimes des incendies et 256 millions... pour ceux des abeilles. L'apiculture est le passe-temps préféré du coloré maire.

Le reportage «révélait» aussi que la fortune accumulée par son épouse (2,9 milliards selon Forbes), reine de l'immobilier moscovite, n'était pas étrangère aux fonctions de son mari...

Les accusations de corruption et de mauvaise gestion à l'endroit de Loujkov ne sont pas nouvelles. Ce qui est nouveau, c'est qu'elles trouvent leur voie jusqu'aux ondes hertziennes.

En 18 ans à la tête de la capitale, Iouri Loujkov a su naviguer à travers les changements de garde au Kremlin pour conserver le contrôle de sa mégapole de 10 millions d'habitants.

Lettre ouverte

Mais mercredi dernier, il a commis l'impardonnable. Dans une lettre ouverte, le maire a critiqué de façon à peine voilée la décision du président Medvedev d'interrompre la construction d'un tronçon d'autoroute à la demande des écologistes. Il y laissait entendre que la méthode autoritaire de Poutine, qui est plutôt favorable à la poursuite des travaux, est meilleure pour régler les problèmes du pays que celle du chef de l'État, plus enclin au compromis.

À la suite de la publication, une source anonyme au Kremlin a indiqué à l'agence Interfax que l'attaque «ne resterait pas sans réaction appropriée». Depuis, les documentaires-chocs pullulent.

Iouri Loujkov assurait encore vendredi qu'il n'avait aucune raison de quitter ses fonctions avant la fin de son cinquième mandat en 2011.

Légalement, Dmitri Medvedev peut renvoyer le maire à sa guise. Mais il doit tout d'abord lui trouver un successeur, et aucun nom ne semble faire l'unanimité actuellement dans les coulisses du Kremlin. En attendant, la propagande se charge de descendre en flamme le maire de 73 ans, qui a osé choisir la confrontation.