«Le plus probable, c'est que le mouvement de grèves et de manifestations ira en décroissant et que la loi sur les retraites sera adoptée comme prévu le 20 octobre par le Sénat. Ce n'est pas sûr, mais c'est probable.»

C'est le pronostic qu'a lâché mercredi soir à la télévision Alain Duhamel, le commentateur politique le plus connu en France. Deux jours plus tard, les avis sont nettement plus partagés: Fillon et Sarkozy réussiront-ils à tenir sur leurs positions jusqu'au vote du Sénat, qui, au moins symboliquement, devrait mettre un terme au débat sur le report de l'âge de la retraite? Ou assistera-t-on dans les jours qui viennent à un blocage du pays, comme cela s'était produit en décembre 1995?

Hier, en milieu de soirée, le mouvement de protestation semblait hésiter entre la décélération et la radicalisation. D'un côté, le pourcentage de grévistes dans le secteur vital des chemins de fer était nettement à la baisse, même si les transports restaient fortement perturbés. De l'autre, le blocage des 12 raffineries de pétrole du pays a provoqué des pénuries d'essence ponctuelles un peu partout au pays et un début de «panique à la pompe».

L'approvisionnement en kérosène des aéroports de Roissy et d'Orly a été interrompu, avec des risques de «panne sèche» dans les prochains jours si un important oléoduc régional n'est pas remis en service. Il reste cependant les réserves «stratégiques» de pétrole, l'équivalent de trois mois de consommation, dans lesquelles les autorités pourraient décider de puiser. Et il reste également la possibilité de faire intervenir les forces de l'ordre pour débloquer les raffineries et les 220 dépôts d'essence ponctuellement bloqués par des grévistes ou d'autres syndiqués.

La crainte du gouvernement, c'est que les divers mécontentements et mouvements de grève arrivent à brève échéance à converger et aboutissent à un vaste mouvement national, comme cela s'était produit en décembre 1995... contre un projet de réforme des retraites dans les chemins de fer et les transports. Après trois semaines de blocage du pays, le projet défendu par le premier ministre Alain Juppé avait finalement été retiré.

De l'avis général, on n'en est pas encore là. Mais on pourrait y être aujourd'hui avec une nouvelle «journée d'action» au cours de laquelle de 1 à 2 millions de manifestants pourraient descendre dans la rue un peu partout au pays. Le test sera d'autant plus crucial qu'une nouvelle journée de protestation est prévue mardi prochain, veille du vote de confirmation au Sénat. Des citoyens de diverses catégories pourraient être tentés d'augmenter la pression en vue de cette échéance. Au lieu de s'essouffler, le mouvement pourrait repartir à la hausse.

L'un des plus grands sujets d'inquiétude pour le gouvernement a trait aux lycées. Depuis trois ou quatre jours, une partie d'entre eux sont dans la rue. Des quelque 4500 établissements du pays, 900 seraient déjà bloqués, selon les organisations lycéennes - trois fois moins selon le ministère de l'Éducation. Les manifestations prennent de l'ampleur, avec les risques de dérapage et d'incidents graves que cela comporte. Jeudi après-midi, un lycéen de 16 ans a été gravement blessé à Montreuil, en banlieue parisienne, par une balle de caoutchouc qui l'a atteint à l'oeil. Comme cela était prévisible, des bandes de «casseurs» ont commencé à se mêler aux manifestants, et il y a eu de graves affrontements avec la police. Dans la seule journée d'hier, 264 personnes avaient été arrêtées. Mais de providentielles vacances scolaires sont prévues pour vendredi prochain, ce qui devrait mettre un terme au mouvement.

Autre incertitude: les syndicats de chauffeurs routiers, dont le régime spécial de retraite est indirectement menacé par la réforme en cours, ont menacé d'entreprendre des opérations ciblées contre les dépôts de carburant et ceux de la grande distribution.

En principe, la France devrait avoir mercredi prochain une nouvelle loi fixant à 62 ans le droit de partir à la retraite (à taux plein ou pas) et à 67 ans celui de prendre sa retraite à taux plein quel que soit le parcours professionnel. Pour Nicolas Sarkozy, qui joue sa tête sur cette réforme, ce sont les jours les plus longs qui commencent.