Plus tôt ce mois-ci, la journaliste canadienne Isabel McDonald a signé un reportage explosif sur les travailleurs illégaux chargés de l'entretien des villas de Lou Dobbs, ex-animateur vedette à CNN et champion de la ligne dure sur l'immigration. L'histoire a secoué le public américain et pourrait compromettre les visées politiques du millionnaire célébré par le Tea Party.

Le 4 novembre 2009, Lou Dobbs s'est lancé dans une tirade contre les employeurs qui embauchent des immigrants illégaux.

«Ces gens enfreignent la loi et vont à l'encontre de nos intérêts nationaux, a dit l'animateur-vedette de CNN, au bord de la colère. Ils exploitent honteusement les travailleurs et se moquent honteusement des lois!»

Peu de ses auditeurs s'en doutaient, mais au moment où Dobbs livrait son opinion, des travailleurs sans papiers entretenaient ses villas au New Jersey et en Floride, et s'occupaient de ses chevaux de saut d'obstacles en Floride et au Vermont.

Ils coupaient sa pelouse, émondaient ses arbres, taillaient ses haies. Des besognes peu glorieuses et mal payées, mais nécessaires au maintien du cachet des propriétés luxueuses de centaines de milliers d'Américains fortunés.

Pour Isabel MacDonald, qui a exposé la situation dans une enquête publiée il y a 10 jours dans le magazine The Nation, l'ironie est saisissante.

«Ce qui est intéressant avec Lou Dobbs, c'est qu'il est le champion de la ligne dure au sujet de l'immigration illégale, dit-elle. Tout le monde connaît ses opinions. C'est sa marque de commerce.»

Un an d'enquête

C'est dans le cadre de son travail à FAIR, groupe établi à New York qui étudie la représentation des minorités dans les médias, que Mme MacDonald a commencé à scruter les pratiques de Lou Dobbs.

«J'avais une piste, mais il fallait du temps pour fouiller, pour prouver les allégations», dit-elle.

Plus tôt cette année, elle a déménagé de New York à Montréal, où elle a continué à travailler à son enquête. «J'ai pu bénéficier du fonds sur le journalisme d'enquête mis sur pied par The Nation, ce qui m'a donné du temps et des ressources pour faire mon reportage, qui s'est étalé sur un an.»

Mme MacDonald est allée en Floride pour interviewer cinq immigrants ayant travaillé pour Dobbs. Deux d'entre eux ont accepté de parler à la caméra, pourvu que leur visage ne soit pas visible.

Un travailleur dit avoir rencontré l'animateur à plusieurs reprises. «Il nous a dit de l'appeler «Luis»», a-t-il confié.

L'article a été publié à la une du magazine, le 7 octobre. La nouvelle a explosé sur l'internet, et a été reprise par les médias américains.

Dobbs a attaqué l'impartialité de Mme MacDonald, et a débattu en direct avec elle sur MSNBC et ABC.

Rhétorique et réalité

Dobbs, qui a quitté CNN l'an dernier, après avoir été accusé de racisme par des groupes de défense des droits des Latinos, a nié avoir embauché des travailleurs illégaux.

Ce sont les entreprises responsables de l'entretien de sa maison et de ses chevaux qui sont à blâmer, soutient-il. «Quand j'ai demandé à la société si elle employait des illégaux, elle m'a dit non», a affirmé Dobbs.

Pour Isabel MacDonald, il s'agit d'une question de sémantique, qui illustre bien l'ampleur du problème. «Cela montre le fossé qui existe entre la rhétorique et la réalité. Lou Dobbs est incapable de mettre en pratique dans sa vie privée ce qu'il prêche en ondes.»

Le scandale pourrait nuire à Dobbs, qui songe à tenter sa chance au Sénat ou même à la présidence, en 2012. Le sujet de l'immigration illégale est crucial pour la droite américaine et le Tea Party, que Dobbs courtise.

Mme MacDonald, qui entreprend cet automne un doctorat en communication à l'Université Concordia, souhaite faire d'autres enquêtes de longue haleine.

«Celle-là était unique, dit-elle. Je ne sais pas si tous mes sujets recevront autant d'attention.»