Après une série d'émeutes qui ont fait les manchettes en 2005, le gouvernement français avait promis un «plan Marshall» pour les banlieues sensibles des grandes villes françaises. Cinq ans plus tard, cependant, les résultats se font toujours attendre.

Cinq ans après la mort accidentelle dans un transformateur de deux jeunes qui cherchaient à se sauver de la police, la population de Clichy-sous-Bois attend toujours que «justice soit faite».

Lundi, le parquet a annoncé qu'il allait porter en appel une décision récente visant à juger deux policiers pour «non-assistance à personne en danger» en relation avec ce drame, à l'origine de semaines d'émeutes largement médiatisées en 2005.

L'appel «manifeste une fois de plus, s'il en était encore besoin, la volonté d'étouffer cette affaire en privant les familles et le pays d'un débat public et de la vérité», a accusé l'avocat des familles.

Elle risque aussi de renforcer l'impression, largement répandue à Clichy-sous-Bois et dans d'autres banlieues sensibles de la région parisienne, qu'il existe «un système de droit à deux vitesses», souligne Luc Bronner, journaliste spécialisé du quotidien Le Monde.

La perception dominante, dit-il, est que les jeunes pris en faute sont rapidement et durement condamnés alors que les forces de l'ordre échappent à toute réprimande, quel que soit leur comportement.

De manière plus générale, les résidants des banlieues sensibles demeurent convaincus qu'ils vivent «hors de la République», note M. Brenner, qui a traité de cette question dans un récent ouvrage intitulé La loi du ghetto.

Malgré les promesses d'action de la classe politique à la suite des émeutes de 2005, «très peu de choses ont changé lorsqu'on regarde les indicateurs d'emploi, de logement, de revenus», souligne le journaliste.

Une analyse partagée par une quarantaine de maires de banlieue qui ont signé au printemps dernier une lettre ouverte relevant le «sentiment d'abandon» des populations locales.

«Faudra-t-il de nouvelles émeutes pour que les pouvoirs publics s'intéressent à nos villes et à ceux qui y vivent?» ont-ils demandé.

Plan «Espoir banlieues»

Le président français Nicolas Sarkozy avait promis un «plan Marshall» pour les banlieues qui s'est soldé notamment par l'annonce du plan «Espoir banlieues» doté d'un budget de 500 millions d'euros trop peu ambitieux au dire des élus.

Les milliards investis dans la rénovation et la réhabilitation des espaces publics et des bâtiments ne régleront pas non plus le problème, souligne M. Bronner, puisqu'ils ne favorisent pas la mixité sociale.

Par crainte de «déclassement», dit-il, les classes moyennes et aisées cherchent à éviter la «cohabitation» avec des familles défavorisées, favorisant l'émergence de «ghettos» marqués par une forte présence immigrante.

La démographe Michèle Tribalat, directrice de recherche à l'Institut national des études démographiques (INED), a relevé que la proportion de «jeunes d'origine étrangère» - avec au moins un parent ayant immigré au pays - dépassait désormais 60% dans une vingtaine de villes.

L'étude de la composition ethnique des banlieues demeure un sujet très sensible auquel rechignent à s'attaquer nombre de chercheurs par crainte d'être accusés de faire le jeu de l'extrême droite et de son discours anti-immigration.

Le gouvernement, déplore M. Bronner, mise surtout sur la répression dans les milieux sensibles, déployant des policiers de mieux en mieux équipés qui croisent régulièrement le fer avec des adolescents en colère, souvent en manque de supervision parentale.

«Depuis 2005, les violences envers les policiers se sont banalisées et généralisées», souligne le journaliste du Monde, qui insiste sur le fait que des incidents sérieux surviennent régulièrement sans pour autant attirer l'attention des médias, présents surtout en cas de crise extrême.

L'absence d'actions probantes pour améliorer leur situation alimente le cynisme des résidants des banlieues sensibles, qui boudent le processus politique après avoir massivement participé à l'élection présidentielle de 2007. Dans certaines villes, le taux d'abstention a excédé 70% lors des derniers scrutins.

Les maires de banlieue, dans leur lettre ouverte, ont prévenu que ces résultats témoignant de la «défiance» de la population «face à la capacité des politiciens de changer les choses».

M. Bronner pense que c'est non seulement la capacité, mais aussi la volonté du gouvernement qui doit être questionnée. «Les banlieues ne sont pas très rentables électoralement. Mais la peur des banlieues est très rentable», souligne-t-il.