L'histoire de Natascha Kampusch, jeune Autrichienne enfermée pendant huit ans dans la cave d'un ravisseur fou, a fait le tour de la planète en 2006. Quatre ans plus tard, elle tente de tourner la page en racontant par le détail, dans un livre intitulé 3096 jours, sa descente aux enfers. Notre journaliste Marc Thibodeau a pu la rencontrer à Paris.

Natascha Kampusch, qui a longtemps craint de ne jamais revoir la lumière du jour, se trouve de nouveau sous le feu des projecteurs. Et elle tient à profiter de l'occasion pour faire savoir qu'elle n'est plus hantée par son sordide passé.

Pendant longtemps, la jeune Autrichienne s'est demandé pourquoi son ravisseur, Wolfgang Priklopil, l'avait choisie plutôt qu'une autre comme victime. «C'est une question qui ne me tourmente plus», dit-elle.

Les motivations de ce technicien au chômage, qui s'est enlevé la vie peu après l'évasion, ne l'interpellent pas plus aujourd'hui. «De toute façon, on ne peut pas changer ce qui est arrivé. Ce qui est arrivé est arrivé», souligne-t-elle.

Les assurances tranchées données cette semaine par la jeune Autrichienne de 22 ans à l'occasion d'une rencontre de presse à Paris marquant la sortie de son ouvrage autobiographique, 3096 jours, contrastent avec les multiples mises en garde prodiguées par son entourage.

L'équipe de la maison d'édition française qui l'accompagnait a longuement insisté en préambule à la rencontre sur le fait qu'elle demeure fragile et peine encore à prendre des décisions simples, comme de choisir où s'asseoir dans un taxi, après avoir été soumis pendant des années aux diktats de son ravisseur.

Une cave de 5 m2

Durant l'entrevue, elle donnera un échantillon de sa sensibilité, et de sa volonté d'affirmation, en sermonnant un éducateur qui l'accompagne et qui semblait vouloir répondre à une question à sa place.

La jeune femme, qui s'exprime en allemand, finira par reconnaître au détour d'une question qu'elle «ressent parfois encore des séquelles» de son expérience.

Difficile d'imaginer autrement en lisant, sur 300 pages, le saisissant récit de son enlèvement et de sa séquestration en banlieue viennoise par Wolfgang Priklopil, qui fera tout au fil des ans pour la soumettre à sa volonté après avoir réussi à l'enlever sur le chemin de l'école.

L'homme, écrit-elle, rêvait d'en faire son esclave et de «créer son propre petit monde, un petit univers vierge et occupé par une personne qui ne serait là que pour lui».

«Il voulait un être humain pour lequel il serait la personne la plus importante au monde. Apparemment, le seul moyen qu'il a trouvé était d'enlever une timide enfant de dix ans et de la couper du monde extérieur jusqu'à ce qu'elle soit mûre psychiquement pour être «créée» de nouveau», relate Natascha Kampusch.

Tous les moyens sont bons pour parvenir à ses fins. Durant les premières années, la fillette passe la quasi-totalité de son temps confinée dans une cave de cinq mètres carrés dissimulée dans la maison, derrière une lourde porte de béton.

Chaque dérapage est sanctionné, soit par des périodes de privation de lumière ou de nourriture, la poussant à fantasmer sur le goût d'aliments vus dans des dépliants publicitaires. Le ravisseur répète à son otage que personne ne se préoccupe d'elle, que ses parents n'ont pas voulu payer de rançon, alors qu'il n'en a jamais demandé.

Il installe un système audio pour pouvoir lui parler à distance à toute heure du jour et de la nuit, l'oblige à adopter un nouveau nom et exige, en vain, de se faire appeler «Maestro». Ce n'est qu'au bout de six mois d'isolement qu'il lui permet sous surveillance de monter prendre un bain. En la prévenant que les issues sont toutes sécurisées et qu'il la tuera sans hésiter si elle tente de fuir.

La force de s'enfuir

Son attitude envers elle bascule après ses premières règles en 2000. «Devenue une femme adulte, je devais être à son service et assumer les travaux de la maison sous son étroite surveillance», relate-t-elle.

Wolfgang Priklopil force la jeune femme à récurer sans cesse la résidence et à le soutenir pour de difficiles travaux de rénovation, la battant à la moindre occasion. Il commence aussi à l'obliger à dormir dans son lit régulièrement, l'attachant à lui par les poignets avec un collier de serrage.

L'homme n'avait rien d'un prédateur sexuel, souligne Natascha Kampusch, qui demeure discrète sur le sujet. «Le ravisseur était à bien des égards une bête, et plus cruelle qu'on ne peut l'imaginer - sauf de ce point de vue», relate-t-elle.

Au fil des ans, la jeune femme finit par se retrouver prisonnière d'une «prison psychique» qui l'empêche de profiter des quelques occasions de fuite qui se présentent. Incluant la fois où Priklopil et elle sont interpellés, en voiture, par un policier lors d'un banal contrôle de papiers.

Ce n'est finalement qu'après avoir passé le cap des 18 ans que Natascha Kampusch trouve la force de s'enfuir, profitant d'un moment de distraction de son ravisseur alors qu'ils sont dans la cour de la maison. Les premières personnes qu'elles rencontrent lui disent de passer son chemin, inquiètes de son apparence. Prise de panique, elle cogne à la porte de la maison d'une femme méfiante qui appelle la police après avoir averti l'intruse de ne pas «marcher sur son gazon».

Les policiers apprennent alors avec stupéfaction l'identité de la jeune femme hagarde. Et les médias s'emparent frénétiquement de l'histoire, générant pour elle «une nouvelle prison» dont les murs étaient faits d'un «intérêt public débordant».

Quatre ans après sa libération, l'intérêt demeure très grand. Un phénomène que Natascha Kampusch explique par le caractère «cauchemardesque» de son histoire, la «simple curiosité» et le fait que beaucoup de gens «tirent plaisir des souffrances des autres».

La jeune femme a beaucoup pâti des critiques qui lui ont reproché d'exprimer une forme d'empathie pour son ravisseur.

«On ne voulait pas m'entendre dire qu'il n'y a pas de mal absolu, que ce n'était pas clairement noir et blanc (...) En fuyant, je ne m'étais pas seulement libérée de mon bourreau, j'avais aussi perdu un être qui m'était proche par la force des choses. Mais on ne m'accordait pas de deuil», écrit l'Autrichienne, qui répond par un «oui» tranché lorsqu'on lui demande si ce deuil est aujourd'hui achevé.

«J'ai commencé un nouveau chapitre (de ma vie). Je l'ai ouvert, mais je n'ai pas encore écrit le premier mot», souligne la jeune femme, qui peine à composer avec le fait que la franchise n'est pas toujours de mise en société.

La société et le mal

Wolfgang Priklopil, souligne Natascha Kampusch, «voulait (lui) faire mal et le faisait» alors que nombre de «personnes fausses» rencontrées en société ont des intentions cachées «contre lesquelles elle doit se protéger».

La jeune femme, qui habite seule en appartement à Vienne, trouve réconfort auprès de sa mère, avec qui elle dit avoir développé une relation «absolument positive et bonne», tout en continuant un travail thérapeutique soutenu pour faciliter son quotidien.

«Il y a eu un suivi thérapeutique pour gérer ce qui est arrivé et il y en a un pour gérer le maintenant», relève-t-elle.

L'avenir demeure plutôt flou pour la jeune femme, qui tirera sans doute des revenus considérables de la vente de son livre, déjà écoulé à plusieurs centaines de milliers d'exemplaires en Autriche et ailleurs.

Après avoir brièvement tenté de faire sa marque comme animatrice de talk-show à la télévision, une expérience qui a tourné court, elle poursuit ses études par correspondance pour rattraper la scolarité perdue. Et dit vouloir «bien réfléchir» avant de s'engager dans une nouvelle voie professionnelle.

L'idée de fonder une famille la laisse tout aussi pensive. «C'est une responsabilité très grande. Il faudrait que je sache à 100% que je suis à la hauteur. Il y aurait aussi la crainte que quelque chose arrive à l'enfant», dit Natascha Kampusch.

3096 jours

Natascha Kampusch

Éditions JC Lattès

Photo: archives AP

La chambre dans laquelle la jeune Natascha a été enfermée.