Installée dans un taxi qui sillonne Tamwe, un township de Rangoon, la ville la plus importante de Birmanie, Yee* recense les irrégularités de la campagne électorale. «Cette route a déjà été réparée par le parti USDP, celle-ci pas encore, celle-ci a été bétonnée», marmonne cette jeune militante. Elle détaille des pratiques qui ressemblent à de l'achat de voix: «À Tamwe, les gens de l'USDP ont dit qu'ils rénoveront d'autres routes si nous votons pour eux. Le parti dispense aussi des soins gratuits dans une clinique.»

Le Parti pour le développement et la solidarité de l'Union (USDP) est en fait le bras politique des militaires, au pouvoir en Birmanie depuis 1962.

Ses grandes affiches vertes barrées du slogan People first (Le peuple d'abord) sont exposées aux grands carrefours de Rangoon. «L'USDP fait campagne sur le budget de l'État, accuse Yee. Ce n'est pas légal. Mais la commission électorale ne dit rien. Elle a peur de l'USDP.»

Chapeau de bambou

Les lois électorales édictées par la junte défavorisent les partis de l'opposition. Ils n'ont bénéficié que de deux semaines pour trouver des candidats désireux de gagner un siège au Parlement et aux chambres régionales. Ils ont dû payer 500$ par candidature. Les partis les plus modestes n'ont pas recueilli suffisamment de fonds.

Résultat, l'opposition ne présente qu'un nombre restreint de postulants. L'USDP, lui, compte sur plus de 1100 candidats.

Une clause taillée sur mesure empêche la célèbre dissidente Aung San Suu Kyi, toujours en résidence surveillée, de se présenter. «Tout le processus électoral est biaisé d'avance», résume un diplomate occidental à Rangoon.

Malgré ces injustices, certains y croient encore. Dans le township de Thin Gung Yung, à Rangoon, des militants de la NDF, la Force démocratique nationale, interpellent les habitants, haut-parleurs à la main. «Cochez sur vos bulletins la case à côté du chapeau de bambou», crient-ils. Le chapeau de bambou est le symbole de leur parti.

Tous les vendeurs de rue acceptent leurs tracts et les lisent attentivement. Les militants de la NDF sont des anciens de la Ligue nationale pour la démocratie (LND), le parti d'Aung San Suu Kyi, qui boycotte le scrutin. Ils ont formé un nouveau parti, car eux souhaitent concourir. La NDF présente 164 candidats.

«Même si nous n'avons pas beaucoup d'élus, nous pourrons faire entendre notre voix, soutient le Dr Than Nyein, à la tête de la NDF. Le gouvernement ne consacre que 0,3% de son budget au secteur de la santé. Si nos parlementaires déposaient une motion pour augmenter ce budget, je ne pense pas qu'un parti puisse contester cela sans ternir sa réputation.»

Depuis qu'ils sont au pouvoir, les militaires birmans n'ont jamais considéré les revendications d'une opposition aujourd'hui très affaiblie. Pourquoi le feraient-ils aujourd'hui? «Ils sont traités comme des pestiférés par la communauté internationale, analyse le Dr Than Nyein. Ils doivent relâcher la pression, peut-être pour retarder leur chute.»

D'autres rejettent en bloc ce qu'ils qualifient de parodie de démocratie. «La majorité des gens de mon quartier craignent d'être punis s'ils ne votent pas pour l'USDP, explique Thin*, ancien prisonnier politique. Je ne crois même pas que les militaires ont besoin de truquer les résultats. La peur est partout.» Il n'ira pas voter.

Le NDF n'ignore pas ce climat tendu. «Nous participons à cette élection seulement pour ne pas perdre le contact avec le peuple birman, explique un candidat du parti, presque en s'excusant. Quand Aung San Suu Kyi sera relâchée, quoi qu'elle décide, nous la suivrons.»

Le scrutin en chiffres

> 37 partis politiques en lice

> 29 millions d'électeurs admissibles plus de 1100 candidats présentés par le parti politique de la junte

> 164 candidats présentés par la Force démocratique nationale

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*À cause de la répression dont font l'objet les journalistes en Birmanie, nous avons accepté, à la demande de notre collaborateur, de ne pas publier sa signature. Il s'agit d'une mesure exceptionnelle pour un collaborateur dont La Presse reconnaît la compétence. Par ailleurs, les noms des intervenants ont aussi été changés.