La diffusion de câbles diplomatiques par l'organisme WikiLeaks a été coordonnée étroitement avec des journalistes, qui ont imposé leurs conditions pour éviter le pire, explique notre correspondant.

Plutôt que de tout mettre en ligne comme à leur habitude, les responsables de WikiLeaks ont accepté de se conformer aux «règles du jeu» fixées par les grands journaux qui diffusent, depuis quelques jours, les détails marquants des 250 000 télégrammes diplomatiques américains obtenus par l'organisation.

«Ils savaient qu'ils ne pouvaient rien faire eux-mêmes avec les documents, qu'ils ne pouvaient pas simplement les mettre sur leur site. Ils auraient eu des morts sur la conscience», a expliqué hier Rémi Ourdan, journaliste du Monde chargé de superviser le traitement des télégrammes au prestigieux quotidien français.

Le Monde et quatre autres grands journaux avec lesquels WikiLeaks fait affaire ont obtenu que l'information dont la diffusion pouvait mettre certaines personnes en danger soit retirée des documents publiés.

Ils ont aussi établi que WikiLeaks ne révélerait que le contenu des télégrammes qui serviraient directement de base à leurs articles, à mesure que ceux-ci seraient diffusés.

C'est ce qui explique que seule une poignée des 250 000 télégrammes ait été dévoilée jusqu'à maintenant, contrairement à ce que laissent entendre plusieurs comptes rendus médiatiques, note M. Ourdan.

La publication des articles devrait durer encore «plusieurs jours», souligne sans plus de précision le représentant du Monde, qui insiste sur le caractère exceptionnel de l'exercice journalistique mené pour en arriver là.

«Ça fait 20 ans que je fais ce métier et je n'ai jamais rien vu de tel. Il y a eu un partage d'information incroyable», relate-t-il.

120 journalistes

Environ 120 journalistes, dont une vingtaine du Monde, ont étudié les documents pendant «plusieurs semaines» pour en extraire les données importantes et écarter les renseignements peu sérieux tout en veillant, au besoin, à en protéger les sources, souligne M. Ourdan.

Le Monde, qui a pris grand soin d'expliquer longuement sa démarche dans son numéro d'hier, a insisté sur le fait qu'il relevait de sa mission de prendre connaissance et d'analyser «avec responsabilité» les documents de WikiLeaks.

L'annonce de la divulgation du contenu des télégrammes diplomatiques américains a néanmoins suscité une véritable levée de boucliers dans la classe politique française, tant à gauche qu'à droite.

Le porte-parole du gouvernement, François Baroin, a déclaré que les actions de Wikileaks portent atteinte «à l'autorité des États» et «mettent en danger des hommes et des femmes qui travaillent à la sécurité de leur pays».

Les médias français se montrent aussi, en large majorité, des plus critiques. Le Figaro, dans un éditorial paru hier, dénonce la «tyrannie de la transparence» imposée par Wikileaks, faisant écho aux propos du gouvernement.

Discours «hypocrite»?

M. Ourdan note que le Figaro est assez «hypocrite» puisque, dans sa livraison d'hier, il critique durement WikiLeaks en éditorial et en première page, mais reprend largement les révélations du Monde dans ses pages intérieures.

Une large part des réactions négatives que l'on entend en France repose sur l'idée que les 250 000 télégrammes émanant du réseau diplomatique américain viennent d'être diffusés en ligne sans autre considération, ce qui n'est pas le cas, répète-t-il.

«Je pense que, après quelques jours, l'attention accordée au côté «pirate» de WikiLeaks va s'estomper et que les gens vont voir que ce qui est important, c'est le traitement fait par les journaux», souligne le journaliste du Monde

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