L'obésité fait des ravages croissants en Europe, révèle une étude alarmante publiée cette semaine par l'OCDE. Plus d'un citoyen sur deux est aujourd'hui en surpoids ou obèse. Et la France n'échappe pas au phénomène.

Judith Bluysen espérait bien faire découvrir à la population française des produits fins venus d'Amérique du Nord lorsqu'elle a ouvert les portes de son magasin, au coeur de Paris. Mais il n'y a pas eu de demande.

«Ça coûtait cher à importer et les gens n'en voyaient pas trop l'intérêt. Ce qu'ils voulaient, c'était les produits industriels qu'ils voient lorsqu'ils vont aux États-Unis ou au Canada», souligne la commerçante d'origine new-yorkaise, établie en France depuis 25 ans.

Son magasin du Marais, appelé Thanksgiving, est devenu au fil des ans un véritable temple de la bouffe industrielle, où viennent se ravitailler des expatriés en mal de Kraft Dinner, de soupe Campbell's ou de root beer. Il y a même, pour les Québécois, de la «sauce à poutine» et un sirop de bleuets du Lac-Saint-Jean.

Nombre de Français fréquentent aussi l'endroit, souligne Mme Bluysen, qui a vu le quartier se transformer au fil des ans à mesure qu'évoluaient les moeurs alimentaires de la population.

«Les choses ont énormément changé. Beaucoup de boucheries fines et de petits commerces ont fermé. Les gens s'approvisionnent de plus en plus dans les supermarchés ou les grandes surfaces et mangent des plats préparés qu'ils réchauffent au four micro-ondes», souligne la commerçante.

«Quand je vois des jeunes femmes énormes qui se présentent à la caisse avec une dizaine de boîtes de Pop Tarts, j'ai parfois envie de leur demander si elles se regardent dans la glace», confie Mme Bluysen.

Le succès des commerces de restauration rapide, pris d'assaut chaque midi par des milliers de collégiens et de lycéens, témoigne aussi de l'évolution des habitudes alimentaires. Malgré la tradition de fine gastronomie française, l'Hexagone est devenu l'un des marchés les plus profitables pour McDonald's. «C'est exceptionnel que je vienne ici. Ça fait enfler», souligne Isabelle Giraud, une femme de 50 ans croisée cette semaine, frites à la main, devant un restaurant de la chaîne américaine, place de la Bastille. «Les jeunes viennent manger ici et, quand ils deviennent grands, ils continuent à se gaver de cochonneries», souligne Mme Giraud.

La tendance n'est en rien une particularité de la France, souligne le professeur Arnaud Basdevant, spécialiste de l'obésité qui dirige le service de nutrition à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris. «On assiste, en matière d'alimentation, à une très franche diminution de la consommation de fruits et légumes et à une consommation accrue de matières grasses. C'est la même chose dans tous les pays industrialisés», souligne-t-il.

Aujourd'hui, un Européen sur deux souffre de surpoids ou d'obésité. La prévalence de l'obésité varie toutefois largement d'un pays à l'autre: elle passe de 8% en Roumanie à près de 25% dans des pays comme l'Irlande ou la Grande-Bretagne.

Mais quel que soit le pays concerné, le pourcentage d'obèses a pratiquement doublé en 20 ans, «sans égard au taux initial», relève l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), qui sonne l'alarme à ce sujet dans un nouveau rapport sorti cette semaine.

Bien que la France s'en tire mieux que la moyenne - le taux d'obésité, chez les adultes, tourne autour de 11% -, le problème s'accentue à la même vitesse qu'aux États-Unis ou en Grande-Bretagne.

«Les chiffres ont commencé à augmenter avec 10 ou 15 ans de retard, mais la vitesse de progression est la même», relève le professeur Basdevant, qui s'inquiète de la prévalence particulièrement marquée de l'obésité dans les milieux socio-économiquement défavorisés.

Le spécialiste, chargé par le gouvernement de mettre au point un plan d'action pour lutter contre le phénomène, relève que des facteurs génétiques, environnementaux et sociaux concourent à l'obésité, ce qui complique les efforts des experts en santé publique.

«C'est d'une telle complexité qu'il faut une approche multifocale», souligne le professeur, qui juge important d'aller au-delà du discours préventif en offrant aux gens des moyens concrets d'éviter le surpoids.

Judith Bluysen songe parfois, dans cette veine, à revoir la gamme de produits qu'elle offre à ses clients. «Il m'arrive de me sentir mal par rapport à ce que je vends, mais je suis à la fin de ma carrière et il est un peu tard pour se convertir aux fèves germées», conclut-elle.