L'Allemagne, comme plusieurs pays européens, s'interroge sur les effets de l'immigration en montrant du doigt la communauté musulmane du pays. Le débat, alimenté à l'automne par la sortie du livre controversé d'un ex-administrateur de la Bundesbank, Thilo Sarrazin, fait le jeu de politiciens xénophobes qui aspirent à transformer en votes le malaise ambiant.

Longtemps, Yahya Dudin, Palestinien arrivé en Allemagne en 1994 pour étudier, a cru que le débat sur l'intégration des immigrés ne le concernait pas vraiment.

Un voisin l'avait bien traité une fois de kanacken, terme péjoratif utilisé contre les étrangers, mais cela ne l'avait pas marqué outre mesure.

«Les gens me disaient que je parlais si bien allemand que j'étais différent des autres immigrés arabes et turcs. Je croyais d'une certaine façon qu'ils avaient raison, qu'il y avait un problème avec les immigrés», relate en entrevue M. Dudin, maintenant âgé de 35 ans et titulaire d'un diplôme en administration.

Son point de vue a basculé l'automne dernier, lors d'une entrevue d'embauche. «La femme qui m'interviewait m'a dit: «Vous êtes arabe? Est-ce que vous avez un problème à ce titre avec le fait d'avoir une femme comme supérieure?» Sur le coup, j'ai eu un choc. Je me suis retrouvé sur la défensive.»

Avec quelques jours de recul, l'embarras de M. Dudin a fait place à une réelle colère, qui l'a amené à prendre part à un séminaire organisé pour les victimes de discrimination.

«Là, j'ai pu constater que j'avais de la chance à plusieurs égards. Un, de ne pas être une femme, parce qu'elles sont encore plus discriminées. Deux, d'avoir la peau plutôt claire. Trois, de ne pas être venu trop jeune en Allemagne parce qu'il y a beaucoup d'abus en milieu scolaire.»

Qui pose problème?

M. Dudin se dit convaincu aujourd'hui que le problème vient de la société allemande, et non des immigrés.

Le vaste débat qu'a provoqué le livre-choc d'un ex-administrateur de la Bundesbank, Thilo Sarrazin, a renforcé son impression. L'ouvrage, vendu à plus de 1 million d'exemplaires, soutient que les musulmans - qui forment aujourd'hui environ 5% de la population - refusent de s'intégrer, abusent des services sociaux et ont un effet négatif sur le pays.

Des sondages ont révélé que 20% de la population appuierait un parti mené par M. Sarrazin et qu'une fraction encore plus importante considère qu'il y a trop de musulmans.

Par la suite, de nombreuses personnes ont appelé à un resserrement des contrôles en matière d'immigration, certains ténors demandant même que cesse toute arrivée en provenance de pays arabes ou musulmans.

Peu de temps après avoir dénoncé les thèses de Thilo Sarrazin, la chancelière Angela Merkel a déclaré que les efforts entrepris pour favoriser l'émergence d'une société multiculturelle en Allemagne avaient échoué. Plusieurs organisations d'immigrés ont mal reçu cette déclaration. «Les politiciens parlent du multiculturalisme comme si ça signifiait que personne ne doit suivre les règles, que chacun peut faire ce qu'il veut. Pour moi, le multiculturalisme signifie qu'on accepte que les gens vivent leur culture aussi longtemps qu'ils demeurent dans le cadre de la loi», note Safter Cinar, porte-parole de la Fédération turque de Berlin.

Radicalisation des débats

Le livre de Thilo Sarrazin, dit-il, a entraîné un «débat malsain» qui empoisonne l'atmosphère et fait craindre le pire aux groupes minoritaires.

À l'inverse, cette polémique réjouit certains politiciens, comme René Stadtkewitz, ancien membre de la CDU. Le député berlinois a récemment créé un nouveau parti qui fait de la lutte contre «l'islamisation» de l'Allemagne une priorité.

M. Stadtkewitz, qui décrit le Coran comme un «livre horrible», affirme en entrevue qu'une proportion importante de musulmans, en Allemagne, vivent en retrait dans une «société parallèle» et refuse toute intégration. Il pense que le pays doit se montrer beaucoup plus exigeant à leur égard et réguler plus sévèrement l'immigration.

Gero Neugebauer, politologue à l'Université libre de Berlin, pense que le parti fera long feu, notamment parce que son chef n'a ni charisme ni envergure nationale.

La progression de l'extrême droite, créditée d'environ 5% des voix dans les derniers sondages, demeure parallèlement freinée par le fait que les Allemands conservent bien en tête les exactions racistes du Troisième Reich, relève M. Neugebauer. «Mais je ne sais pas combien de temps notre passé va nous protéger des pratiques xénophobes.»