Depuis juillet 2010, le soldat américain Bradley Manning, accusé d'avoir transmis au site WikiLeaks des milliers de documents secrets, est détenu 23 heures par jour dans une cellule d'isolement sans oreiller, sans draps ni aucun effet personnel. Son heure d'exercice quotidienne consiste à marcher dans une pièce vide.

Depuis le 18 janvier, il fait en outre l'objet d'une surveillance renforcée, les autorités du pénitencier militaire de Quantico, en Virginie, l'ayant classé comme un détenu à risque, susceptible d'attenter à sa vie. Toutes les cinq minutes, les gardes l'observent et lui demandent si ça va, question à laquelle il doit répondre par l'affirmative. La nuit, s'ils ne voient pas sa tête dépasser de sa couverture, ils le réveillent.

Et tous les soirs depuis le 2 mars, le détenu doit remettre aux gardes la totalité de ses vêtements, y compris son caleçon, pour dormir nu sans drap, sous une couverture fabriquée dans un tissu indéchirable. Le matin, c'est donc nu qu'il apparaît aux gardes.

Détail à ne pas négliger: selon l'avocat de Bradley Manning, le psychiatre de la prison militaire de Quantico a jugé à plusieurs reprises que le détenu n'est pas suicidaire.

Les défenseurs du soldat de 23 ans ne voient qu'une explication à son traitement, jugé «inhumain» par Amnistie internationale et «dégradant» par son avocat, le lieutenant-colonel David Coombs: le Pentagone cherche à le faire craquer pour qu'il accepte d'incriminer le fondateur de WikiLeaks, Julian Assange. Or, l'ancien spécialiste du renseignement en Irak refuse toujours de dire qu'Assange l'a aidé ou encouragé à fournir à son site quelque 250 000 câbles diplomatiques du département d'État, ainsi que des documents confidentiels sur les guerres en Irak et en Afghanistan.

Le porte-parole d'Hillary Clinton démissionne

Résultat: les procureurs américains, malgré leurs efforts, n'ont pas encore réussi à formuler la moindre accusation contre Assange. Qui plus est, Barack Obama doit désormais répondre aux critiques concernant le traitement de Bradley Manning, dont celles émanant de sa propre administration.

«Ce qui arrive à Manning est ridicule, contre-productif et stupide, et je ne sais pas pourquoi le département de la Défense le fait», a déclaré vendredi le porte-parole du département d'État, P.J. Crowley, lors d'une intervention sur le campus du Massachusetts Institute of Technology.

Interrogé le même jour sur la déclaration de Crowley, le président Obama a répondu sèchement lors d'une conférence à la Maison-Blanche que le Pentagone l'avait assuré que le soldat Manning recevait un traitement «correct» et «normal» dans les circonstances.

P.J. Crowley, faut-il le souligner, a été forcé à la démission hier. Sa déclaration et la réponse du président sont intervenues le même jour où l'avocat de Bradley Manning a rendu publique une note de 11 pages envoyée aux autorités militaires dans laquelle le soldat détaille les mauvais traitements qu'il dit subir.

Le détenu y explique notamment les circonstances qui ont mené à la décision de le forcer à dormir nu. «Frustré par mes conditions de détention, j'ai dit à un garde sur un ton sarcastique que, si je voulais me faire du mal, je pourrais sans doute y parvenir avec l'élastique de mon caleçon ou avec mes sandales», peut-on lire dans la note.

Les autorités de la prison de Quantico ont choisi de prendre au sérieux la remarque du détenu.

Obama critiqué

La déclaration de Barack Obama sur le traitement de Bradley Manning a été dénoncée par plusieurs défenseurs du soldat, dont Daniel Ellsberg, ancien fonctionnaire du département de la Défense qui remit au New York Times en 1971 les «Documents du Pentagone», étude ultrasecrète sur l'intervention des États-Unis au Vietnam.

«Si le président Obama n'est pas vraiment au courant des conditions actuelles de détention de Manning - s'il croit vraiment, comme il l'a dit, qu'une «partie de ce traitement (nudité, isolement, harcèlement, privation de sommeil) est nécessaire au bien-être du soldat Manning», et ce, en dépit des jugements du psychologue de la prison -, alors on lui ment, et il doit prendre la situation en main.

«S'il est au courant, et qu'il conclut que le traitement de Manning est correct et légal, cela signifie qu'il n'a pas retenu grand-chose des cours qu'il a enseignés sur le droit constitutionnel», a écrit Ellsberg dans un texte publié dans le quotidien britannique The Guardian.