À un an de la présidentielle russe, le mystère reste entier: le président Dmitri Medvedev et son prédécesseur et mentor Vladimir Poutine oseront-ils s'affronter en duel? Alors que les deux hommes forts du pays semblent prendre un malin plaisir à entretenir le suspense, dans les coulisses du pouvoir, les clans se forment et les pressent de faire connaître leurs intentions.

À des journalistes suédois qui lui avaient demandé, fin avril, s'il comptait être candidat à la présidentielle de 2012, le premier ministre Vladimir Poutine a répondu cette phrase énigmatique: «Vous aimerez la décision. Vous en serez ravis.»

Personne n'en saura plus pour l'instant. En fait, Vladimir Poutine a bien averti les membres de Russie unie, le parti qu'il dirige: «Je vous demande de ne pas parler de la présidentielle, de ne pas vous exciter à ce propos. Cela n'a lieu que l'année prochaine.» D'ici là, les membres du parti déjà majoritaire à la Douma et dans tous les parlements du pays devront se concentrer sur les législatives du mois de décembre, a-t-il expliqué.

Agitations

Mais dans les rangs de la formation, plusieurs s'agitent. Les uns poussent pour un deuxième mandat du «libéral» Medvedev alors que les autres voudraient voir Poutine «le vrai leader national», retourner au Kremlin. Mais au final, tous reconnaissent que la décision reviendra avant tout aux deux membres du tandem russe. Ainsi, il n'est pas question de tenir des primaires à l'américaine, comme l'a proposé récemment le ministre des Finances, Alekseï Koudrine, vite rabroué par la direction du parti.

Des caciques du régime se sont même fait montrer la porte pour avoir pris trop ouvertement position pour l'un des deux candidats potentiels. C'est le cas notamment de Gleb Pavlovski, conseiller de tous les présidents depuis Eltsine, qui avait exprimé une préférence pour Medvedev, le mieux placé selon lui pour moderniser et assurer la survie du système... poutinien.

Avant la dernière présidentielle, Vladimir Poutine avait refusé de modifier la Constitution pour se donner le droit de briguer un troisième mandat consécutif, malgré les pressions de ses partisans. Il avait ainsi préféré se désigner un successeur fidèle en la personne de Dmitri Medvedev, l'un de ses plus proches collaborateurs depuis près de 20 ans. Selon leur entente, le président sortant, loin de quitter le pouvoir, se transformerait en premier ministre fort.

Six mandats

Aujourd'hui, plus rien n'empêche légalement Vladimir Poutine de s'offrir deux autres mandats présidentiels. En vertu d'un changement constitutionnel adopté sans débat à la fin de 2008 et qui porte à six ans la durée des mandats, il pourrait ainsi retourner au Kremlin jusqu'en 2024.

De son côté, Dmitri Medvedev a fait savoir à la mi-avril qu'il annoncerait ses intentions «dans un délai assez court» et que, comme Poutine, il n'excluait pas de se porter de nouveau candidat.

Medvedev et Poutine mènent-ils une lutte interne ou les dés sont-ils pipés? Les Russes, à 71%, ne croient pas du tout à un conflit entre les deux hommes. Le politologue Nikolaï Petrov est du nombre. «Medvedev, c'est un projet poutinien. Poutine l'a choisi comme successeur notamment parce qu'il lui est fidèle et que, même s'il désirait l'affronter, il ne dispose pas des ressources pour le faire.»

La possibilité d'une lutte à deux est donc à écarter, estime M. Petrov. «L'élite politique deviendrait schizophrène, cela pourrait discréditer le régime et entraîner un schisme. Le plus probable, c'est que Poutine sera président.»

Chose certaine, avec un taux d'approbation de 68% pour Dmitri Medvedev et de 71% pour Vladimir Poutine, la victoire de l'un ou l'autre des dirigeants russes ne fait aucun doute. D'autant moins que le pouvoir total qu'exerce le régime sur le processus électoral permettra d'assurer la victoire du candidat désigné. Avec l'appui des électeurs ou non.

Le chef communiste Guennadi Ziouganov et le coloré leader populiste Vladimir Jirinovski ont déjà annoncé qu'ils seraient candidats à la présidentielle de 2012, tous deux pour la quatrième fois. L'écrivain Édouard Limonov, du Parti national-bolchevique (interdit) compte aussi se présenter. Sa candidature risque toutefois fort d'être rejetée par la commission électorale, acquise au Kremlin et très encline à trouver des erreurs dans les dossiers des opposants pour les disqualifier. Ce fut d'ailleurs le cas en 2008 pour Mikhaïl Kassianov, ex-premier ministre de Poutine devenu critique du régime. Dans les rangs de l'opposition libérale faible et divisée, on en est toujours à essayer de s'entendre sur une possible candidature unique.