Le débat sur l'euthanasie rebondit de plus belle en France à la suite de l'arrestation d'un médecin urgentiste accusé d'avoir précipité par injection létale la mort d'au moins quatre personnes âgées.

Nicolas Bonnemaison, un praticien de 50 ans qui travaillait depuis plusieurs années dans un établissement de Bayonne, dans le sud de la France, a été mis en liberté vendredi après avoir pris connaissance des chefs d'accusation déposés à son encontre. Il ne peut exercer tant que les procédures suivront leur cours.

Le parquet lui reproche d'avoir «empoisonné par administration de substances» des personnes rendues «particulièrement vulnérables» par leur état de santé. Ses actions auraient été dénoncées par des collègues après la mort suspecte en août d'une femme de 93 ans qui devait être transférée vers un centre de soins palliatifs.

Lors de l'audience tenue la semaine dernière, le procureur adjoint au dossier a indiqué que le médecin avait évoqué des «raisons morales et de compassion» pour expliquer son action.

L'avocat du Dr Bonnemaison affirme que son client a voulu «abréger les souffrances de personnes qui allaient mourir dans les minutes suivantes». «Il ne regrette pas son geste et a préféré prendre le problème [de l'euthanasie] à bras-le-corps», a déclaré Arnaud Dupin.

Légalisation: pour et contre

Plus de 10 000 personnes ont signé en quelques jours une pétition pour manifester leur «soutien inconditionnel» à l'accusé. L'évêque de Bayonne, Marc Gillet, a, en revanche, décrié son action en relevant qu'un médecin «ne peut s'arroger le droit de supprimer un patient [...] au nom d'une compassion mal comprise».

La loi en vigueur en France depuis 2005 décourage l'acharnement thérapeutique mais ne permet pas l'euthanasie active, c'est-à-dire que le personnel soignant ne peut pas agir volontairement dans le but de précipiter la mort du patient.

Le président de l'Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD), Jean-Luc Romero, pense que l'affaire de Bayonne témoigne de la nécessité d'une loi légalisant l'euthanasie.

«Aujourd'hui, même s'il y a volonté du patient, le soignant risque la Cour d'assises, ce qui est scandaleux», affirme M. Romero, qui s'abstient de porter un jugement définitif sur le cas du Dr Bonnemaison en l'absence d'informations claires sur la volonté des patients concernés.

L'association entend tenir au cours des prochains mois plusieurs rencontres régionales sur le thème de l'euthanasie, qui se termineront à Paris par la tenue d'une réunion publique à laquelle seront conviés les candidats à l'élection présidentielle, qui doit avoir lieu l'année prochaine. Selon lui, la population est largement favorable à la légalisation de l'euthanasie, mais le gouvernement se fait tirer l'oreille.

Le Dr Jean Rottner, qui est chargé de la médecine d'urgence et des soins aux personnes au sein du parti de la majorité, pense que l'euthanasie active constitue une pratique «inacceptable» en France. Il n'a pas exclu cependant hier sur les ondes d'Europe 1 que des modifications puissent être apportées à la loi.

Un long débat

La question de l'euthanasie a fait couler beaucoup d'encre dans le pays depuis 10 ans. Le cas de Vincent Humbert, un tétraplégique mort d'une injection létale en 2003, avait suscité un vaste débat. Il a été relancé en 2008 par la démarche d'une enseignante de 53 ans souffrant d'une rare tumeur au visage qui avait saisi en vain les tribunaux pour obtenir le droit de recevoir une injection létale.

Un groupe de médecins et d'infirmières avait par ailleurs diffusé avant le premier tour de l'élection présidentielle de 2007 un long manifeste en faveur de l'euthanasie active.

L'instigateur du manifeste, Bernard Senet, un médecin retraité qui affirme avoir aidé des dizaines de patients à écourter leurs jours, pense qu'une révision de la loi s'impose plus que jamais.

Le personnel soignant est généralement acquis à la cause, selon lui. «En quatre ans, le corps médical a largement légalisé [l'euthanasie active] dans sa tête», a déclaré hier le praticien, qui milite au sein de l'ADMD.