L'annonce de la prise du quartier général de Mouammar Kadhafi, au coeur de Tripoli, a été accueillie hier un peu partout en zone rebelle par des réactions d'euphorie et de longs soupirs de soulagement.

«Ce fut difficile, mais on y est parvenu, enfin!», s'est réjoui en soirée Adel al-Zintany, Libyen qui a vécu une dizaine d'années au Canada avant de rentrer au pays à la veille du déclenchement de la rébellion.

Il dit avoir combattu avec son clavier et son savoir plutôt qu'avec les armes, mais nombre de ses compatriotes ont préféré la manière forte. Plusieurs ont d'ailleurs marqué la victoire du jour en tirant de longues rafales à Zintan, à 150 km au sud de Tripoli. D'autres, dont de jeunes enfants armés de puissantes armes, le faisaient pour s'amuser.

«Nous avons pris beaucoup d'armes, récemment. Peut-être que certains veulent les tester», a dit en riant Abubaker Jalghur, porte-parole des rebelles, quelques secondes après qu'une balle perdue fut tombée aux pieds d'un journaliste éberlué.

L'homme était plus qu'enthousiaste à l'idée que le complexe résidentiel de Kadhafi, coeur du pouvoir du régime, avait été pris. «Imaginez, nous avons pris sa maison, nous avons pris son lit!», s'est-il réjoui en regardant les images diffusées en boucle sur la chaîne Al-Jazira.

La situation semblait loin d'être stabilisée dans la capitale, mais la plupart des Libyens, à Zintan et ailleurs, interprétaient la prise du complexe résidentiel comme un moment déterminant.

Le piètre état de la ville, que sillonnaient hier plusieurs véhicules munis de lance-roquettes, témoigne de la violence des combats.

Sur les immeubles calcinés, des graffitis appellent, en anglais, à une «Libye libre». Des chars sont abandonnés le long de la route qui relie le poste-frontière de Dehiba, dans le sud de la Tunisie, à Zintan.

Pris d'enthousiasme, le conducteur d'une camionnette qui transportait un groupe de journalistes a bondi sur un véhicule militaire abandonné le long de la route, dans une zone désertique, pour en explorer l'intérieur avec une joie enfantine.

Pour Bachir, père de famille de 38 ans croisé à Dehiba, l'heure était aussi aux réjouissances, hier. Ex-militaire, il a fait défection il y a un mois et demi et a réussi à passer la frontière pour se rendre en Algérie, puis en Tunisie. «Comme le système téléphonique était en panne, ils n'ont pas pu vérifier mon nom», a-t-il expliqué.

L'annonce des difficultés du régime de Mouammar Kadhafi l'a convaincu que le moment était venu de rentrer, même si l'entreprise n'est pas sans risque. «Nous l'avons supporté assez longtemps. Il est temps qu'il parte», a-t-il dit. Il soutient que des centaines de ses camarades ont fait défection comme lui dans les derniers mois.

«Il faut voir ce que l'on peut faire pour reconstruire le pays», a-t-il souligné avant de remonter dans sa voiture avec sa femme et ses deux jeunes filles pour se fondre dans le flot de voitures qui entraient en Libye.

Une file encore plus longue allait en sens inverse, sous le regard attentif de douaniers rebelles qui avaient pris soin de décorer leur modeste guérite d'ogives explosées et d'armes en tout genre.

«Ce sont des partisans de Kadhafi qui s'en vont», a assuré un passeur, sourire en coin.