«That's bullshit!» s'exclame aujourd'hui Bill Rogers, ex-ingénieur chef du 7 WTC, en faisant allusion aux théories de conspiration qui mettent l'affaissement de la tour de 47 étages sur le compte d'un dynamitage. Dernier homme à quitter cet édifice, il a survécu à un peu plus de 100 minutes d'enfer entre la première attaque contre le World Trade Center (WTC) et sa sortie dans la rue, où il a failli être enseveli sous les décombres de la tour Nord.

«C'est horrible», prévient Bill Rogers avant de décrire comment il a découvert la cause de la déflagration qui l'a projeté en bas de sa chaise, le matin du 11 septembre 2001, et qui a interrompu l'alimentation électrique du 7 World Trade Center, dont il était l'ingénieur-chef.

Après avoir repris ses esprits, il a dépêché ses hommes au cinquième étage, où se trouvaient les 12 génératrices diesels de la tour de 47 étages. Il est ensuite sorti de son poste de commande, sur le toit de l'édifice. Le regard fixé sur le trou en forme de losange créé par l'impact de l'avion dans la tour nord du World Trade Center, il a fait quelques pas hésitants en se demandant ce qui avait bien pu provoquer une telle explosion.

Il a senti la chaleur intense qui émanait du gratte-ciel fumant, situé à 107 m de la tour 7. Il a vu des gens sauter dans le vide, dont certains se tenaient par la main. Il a entendu un tintement de cloches (c'était le bruit de milliers de morceaux de verre qui s'entrechoquaient). Puis il a trébuché sur quelque chose.

Lorsqu'il s'est relevé, il a vu le «carnage» qui s'étendait devant lui: des débris de toutes sortes, dont des sièges d'avion, ainsi que des membres humains - des bras, des jambes -, et le tronc d'une hôtesse de l'air dont les mains étaient liées par un ruban adhésif, qui retenait également un sac à main. La force de l'explosion avait éparpillé à la ronde une bonne partie du Boeing 767 d'American Airlines et de ses passagers.

Bill Rogers, qui travaillait depuis 12 ans au 7 WTC, a dès lors compris que des pirates de l'air venaient de percuter une des tours jumelles avec un avion. Son premier réflexe a été de détacher le sac à main de l'hôtesse de l'air pour le remettre à un policier. Il a remarqué que les ongles de la victime étaient recouverts d'une couche fraîche de vernis rose.

Quelques instants plus tard, il a aperçu, du coin de l'oeil, un Boeing 767 de United Airlines qui fonçait vers la tour sud du World Trade Center.

La force de l'impact a de nouveau soulevé Bill Rogers dans les airs et l'a projeté dans les lattes d'aluminium qui entouraient, sur le toit, une des tours de refroidissement de l'édifice. L'ingénieur ne le savait pas encore, mais il avait une hanche disloquée, une clavicule cassée, des côtes fêlées et l'oeil droit criblé d'une multitude de fragments de verre.

«L'adrénaline», dira plus tard cet ex-boxeur originaire du Bronx, à la carrure de poids lourd, pour expliquer la force qui lui a notamment permis de descendre les 29 derniers étages de la tour 7 en portant un homme sur son dos.

Car après l'effondrement de la première tour, Bill Rogers a quitté son poste de commande et a dévalé les marches de l'escalier ouest du 7 WTC - après avoir été détourné des autres escaliers par une chaleur infernale et l'odeur de gazole. Au 29e étage, il s'est cogné la tête contre un mur après avoir buté contre quelque chose. Dans le noir, il a découvert, en tâtant le sol, le corps d'un homme. Il a mis sa joue contre la sienne pour savoir s'il était encore vivant. Après avoir constaté que l'homme n'était qu'évanoui, il l'a mis sur son dos et a repris sa descente des escaliers jusqu'au cinquième étage. Là, il a déposé l'homme sur le sol et il est allé vérifier ses génératrices.

Devant la porte de la salle des génératrices, il a entendu un vrombissement qu'il a d'abord pris pour celui des moteurs. Mais ceux-ci ne fonctionnaient plus depuis un bon moment déjà. Ce que Bill Rogers entendait, c'était le rugissement d'un incendie monstre. La conduite de carburant s'était rompue lors de l'écroulement de la première tour. Les 95 000 L de carburant diesel qui se trouvaient dans un réservoir situé à l'extérieur de la tour 7 se répandaient dans la salle des générateurs et alimentaient les flammes. Au fil de la journée, l'incendie allait faire perdre leur rigidité aux portiques de renforcement en acier situés entre le cinquième et le septième étage, et entraîner les réactions en chaîne qui ont causé l'affaissement de l'édifice, sept heures plus tard.

Et toutes ces théories du complot qui ont mis l'écroulement de la tour 7 sur le compte d'un dynamitage?

«Foutaise !» s'écrie Bill Rogers, 10  ans plus tard.

Une casquette des Mets de New York vissée sur la tête, bottes de moto aux pieds, l'homme de 58 ans travaille aujourd'hui comme ingénieur-chef d'un édifice de la 26e Rue, à Manhattan. L'homme à qui il a sauvé la vie, Vincent Lanzetta, aussi ingénieur, a déménagé en Arizona. Les deux hommes ont été les derniers à quitter la tour 7, un peu plus de 100 minutes après l'impact du premier avion.

«Vinnie ne veut plus rien savoir de New York et des gratte-ciel, dit Bill Rogers. Moi, le 11-Septembre ne m'a jamais affecté mentalement.»

Mais l'ancien ingénieur-chef de la tour 7 n'oubliera jamais les secondes qui ont suivi sa sortie de l'édifice. Un secouriste venait à peine de l'aider à transporter Vincent Lazetta à l'arrière de l'édifice lorsque la deuxième tour du World Trade Center s'est écroulée.

«Si j'étais resté deux secondes de plus à l'endroit où je me trouvais en sortant de la tour 7, j'aurais été enseveli sous les débris, raconte-t-il. La tour 7 m'a sauvé la vie. Je ne suis pas religieux, mais c'est un peu par miracle que je suis encore ici.»

Photo: AFP