«Mon père passe son temps à écrire», explique Maritza, l'aînée des cinq filles du mineur Victor Segovia, âgée de 23 ans.

«Il se lève, il prend son petit-déjeuner et il écrit. Après le déjeuner, il fait une sieste. Puis, il écrit de nouveau.» Une routine qui a d'abord surpris cette belle brune au regard franc. «Il écrivait seulement des chansons avant, explique-t-elle dans un sourire. Je crois que ce journal, c'est sa manière à lui de s'isoler.»

À 48 ans, Victor Segovia a toujours été mineur, comme son père avant lui. Descendre sous terre de génération en génération, c'est une tradition dans cette région minière du nord du Chili. Et la famille Segovia n'y déroge pas.

À 700 mètres de profondeur, Victor a aussi deux cousins, Pablo et Esteban Rojas, ses meilleurs amis. «Sur la dernière vidéo, on a vu que leurs lits étaient côte à côte», souligne Maritza. Un soulagement pour elle. «Ils vont se serrer les coudes. Et puis, ils savent que mon père aime sa tranquillité.»

Musique et stylos Bic

Après ses journées à la mine, c'est dans la musique que Victor se réfugiait chez lui, dans une pièce de la maison, dont les murs sont recouverts de pochettes de CD et de vieux vinyles. Une pièce où trônent ses trésors: quatre guitares électriques et classiques, un orgue, un accordéon, une flûte de 0an. «Il n'a jamais suivi aucun cours», souligne Maritza, qui ne cache pas sa fierté.

Si sa fille préférée lui envoie des cahiers et des stylos Bic pour son journal, elle lui a aussi fait parvenir un harmonica, des partitions de musique et une clé USB remplie de ses chansons préférées au moyen du tube dit «pigeon voyageur» qui ne cesse de circuler à travers le trou de 8 cm de diamètre qui relie les mineurs à la surface.

Enceinte de cinq mois de son deuxième enfant, Maritza est la seule des filles de Victor qui a choisi de vivre avec lui, après la séparation difficile d'avec sa femme, qui a quitté le domicile conjugal il y a cinq ans.

«On a une relation à part», souligne-t-elle, sans sourciller devant la jalousie que cela a créé chez ses soeurs. Son fils de deux ans et demi, elle l'a baptisé Victor, pour faire plaisir à un père qui a toujours regretté de n'avoir que des filles.

«Je n'ai pas eu le temps d'aller à l'échographie pour connaître le sexe de mon prochain bébé», ajoute-t-elle. Mais si c'est une fille, elle l'appellera Esperanza Milagro (Espoir Miracle). Si c'est un garçon, Antonio, le deuxième prénom de son père.

Une lettre chaque jour

Les autres filles de Victor se rendent aussi, souvent, dans le «camp de l'espoir», situé au pied de la mine, où les familles ont commencé à camper au lendemain de l'accident du 5 août qui a refermé la terre sur les 33 mineurs.

«Si je pouvais, je vivrais ici», souligne Juana Segovia, l'avant-dernière des cinq filles, âgée de 17 ans. «Mais si je loupe mon année, mon papa va me tuer!» Cette jolie collégienne aux grands yeux noirs a passé 17 jours entiers dans ce camp, où La Presse l'a rencontrée récemment. Mais depuis qu'elle sait que son père est vivant, elle passe le plus clair de son temps à Copiapo, petite ville située à 55 km de la mine. En revanche, elle ne rate jamais un week-end au campement.

«Au camp, on est informé de tout», ajoute-t-elle. Car régulièrement, l'équipe de secours s'entretient avec les familles. Sans compter les «visites». Huit minutes par mineur en vidéoconférence avec sa famille, grâce à une fibre optique qui relie désormais le tunnel à la surface.

Si Victor passe son temps à écrire, ce n'est pas seulement sur son journal de bord. Beaucoup à sa famille, aussi. «Tous les jours, je reçois une lettre, sourit timidement Juana. Les choses qu'il m'écrit, il ne me les avait jamais dites avant.»

Et si l'accident a cristallisé les problèmes familiaux chez les Segovia, il a aussi changé Victor, qui l'a fait comprendre à ses filles. «Je crois que dorénavant, il passera plus de temps avec sa famille et moins au bar, avec ses amis», explique Maritza.

Juana, quant à elle, a décidé de vivre avec lui lorsqu'elle aura atteint sa majorité. De nouvelles résolutions qui seront sûrement facilitées par la nouvelle vie qui attend Victor. On se bat déjà pour publier son livre ou le porter au grand écran.