Fidèle à lui-même, le président du Chili a joué le tout pour le tout. Sebastian Piñera a insisté pour qu'on continue de chercher les 33 mineurs coincés sous terre. Il a fait débloquer des fonds. Multiplié les foreuses. Et coiffé plusieurs fois son casque dans le désert de l'Atacama.

Et le milliardaire de 60 ans a gagné son pari. Encore une fois.

Encore une fois parce que Sebastian Piñera a l'habitude de miser sur un happy end. Il y a huit mois, après avoir englouti 14 millions dans sa campagne électorale, il a ramené de justesse la droite au pouvoir, une première depuis la chute du dictateur Pinochet, en 1990.

À la fin de la vingtaine, fraîchement diplômé de Harvard, il a abandonné sa carrière d'économiste pour devenir investisseur. Il a alors élargi l'utilisation des cartes de crédit, remis sur pied la compagnie aérienne Lan, investi dans l'équipe de soccer Colo-Colo (qui a remporté plusieurs championnats chiliens) et dans la chaîne de télévision Chilevisión.

Marqués par son énergie débordante, certains le qualifient de locomotive. D'autres, moins tendres, de Berlusconi chilien - bien qu'il soit politiquement plus modéré que l'homme politique italien et semble entretenir une relation beaucoup moins tumultueuse avec sa femme (conseillère matrimoniale) et ses quatre enfants.

Chose certaine, l'opération de sauvetage en cours est excellente pour l'image de Piñera, ternie à la suite du violent séisme qui a suivi son élection, au mois de janvier dernier.

On lui avait alors reproché d'être inefficace.

Depuis l'effondrement de la mine, au mois d'août, plusieurs Chiliens croient exactement le contraire: la cote de popularité du président est passée de 46 à 56%. «Si tout se termine bien, il devrait pouvoir surfer là-dessus encore quelques mois, estime José del Pozo, professeur d'histoire à l'UQAM. Mais plusieurs Chiliens ne seront jamais d'accord avec ses positions.»

«S'il est habile, Piñera voudra utiliser son nouveau prestige pour faire passer ses réformes, mais le jeu partisan reprendra vite le dessus, croit de son côté le politologue Jean-François Mayer, spécialiste de l'Amérique latine à l'Université Concordia. Le Chili fait par ailleurs face à d'importants défis économiques et sociaux.»

La droite fait peur

Depuis longtemps, la droite fait peur aux 17 millions de Chiliens. Notamment parce qu'elle est associée à deux décennies de dictature durant lesquelles 3000 personnes sont mortes, 28 000 ont été torturées et plusieurs milliers d'autres ont fui.

Pour Sebastian Piñera, les choses sont particulièrement délicates. Plusieurs de ses partisans et collaborateurs actuels ont travaillé jadis pour Pinochet. L'un de ses deux frères a même été son ministre du Travail.

Deux ans avant d'être élu sénateur, en 1990, Piñera manifestait pourtant contre Pinochet. Et il a évidemment pris soin de faire ressurgir ces images.

On lui reproche tout de même d'avoir transformé son gouvernement en «Chili inc.» et de s'exposer aux conflits d'intérêts. En pleine campagne électorale, ses opposants critiquaient déjà ses costumes bien coupés, ses boutons de manchettes en or et ses cravates de soie.

Piñera a effectivement vécu une existence dorée. Fils d'ambassadeur, il a passé son adolescence en Belgique et à New York, pour étudier ensuite à Harvard. Il se classe actuellement troisième au palmarès des grandes fortunes du Chili. Il pilote son hélicoptère et fait des randonnées au coeur d'une forêt tropicale qui lui appartient, dans une petite île au sud du pays.

Ce parc, Tantauco, est aussi ouvert au public puisque Piñera prend soin de partager une petite partie de sa fortune. Il a aussi rénové des stades de football et financé un parc d'autobus pour conduire les enfants pauvres dans les musées.

«Pour quelle raison voudrais-je qu'on se souvienne de moi? a dit Piñera au quotidien britannique The Guardian, peu après son élection. Est-ce que je veux que mes enfants et mes petits-enfants se souviennent de moi parce que j'ai gagné 1 million de plus? Non! J'ai décidé il y a 20 ans de faire des choses qui ne sont pas traditionnelles et qui ne sont pas pour l'argent.»

À en croire les sondages, ces jours-ci, 56% des Chiliens trouvent qu'il est sur la bonne voie.