Le pénitencier d'Angola, en Louisiane, est une prison hors de l'ordinaire. D'abord, par sa superficie : 73 km2 ! Des bâtiments protégés par des milliers de kilomètres de barbelés sont éparpillés en pleine campagne, au bord du Mississippi et de marécages infestés d'alligators. Là, les prisonniers condamnés aux travaux forcés, à 75 % des Noirs, passent une grande partie de leur vie et, souvent, y sont enterrés. Les sentences sont lourdes en Louisiane. Et on exécute les prisonniers à Angola. La Presse a visité cette incroyable prison.

Le Louisiana State Penitentiary (LSP) est au bout d'une route sans issue, à la frontière entre le Mississippi et la Louisiane. Des prisonniers l'ont surnommé le Last Slave Plantation, mais on l'appelle Angola. Il s'agit d'une ancienne plantation de canne à sucre qui employait au XIXe siècle des esclaves d'origine africaine, notamment d'Angola, d'où son nom.Le domaine de la prison est immense : il s'étend sur 73 km2, l'équivalent de Manhattan ou des arrondissements de Rivière-des-Prairies-Pointe-aux-Trembles et de Mercier-Hochelaga-Maisonneuve réunis. Y vivent 5000 détenus, tous des hommes, âgés de 17 à 87 ans, des Noirs dans une proportion de 75 %.

Les sentences sont lourdes en Louisiane. Un meurtre vous envoie à Angola à perpétuité ou pour y être exécuté. La durée moyenne des sentences est de 88 ans. On peut être condamné à 99 ans pour un vol à main armée. Des prisonniers y passent toute leur vie et y meurent.

Un prisonnier que nous avons rencontré à Angola y est détenu depuis 25 ans. Il a été condamné à 60 ans de prison pour avoir volé de l'argent dans une maison. Il sortira d'Angola quand il aura 82 ans.

Des exécutions ont lieu à Angola. Avant 1941, on pendait les condamnés. De 1941 à 1972 et de 1983 à 1991, on a utilisé la chaise électrique. Depuis 1991, on tue par injection mortelle.

En visitant le lieu en auto, en compagnie des cinéastes canadiens Kelly Saxberg et Ronald Harpelle et d'un cadre de la prison, Gary Young, on a l'impression de se promener sur des routes de campagne. On a découvert les uns après les autres les sept camps de la prison, tous cernés par de hautes clôtures d'acier épaissies par d'épais rouleaux de fils de rasoir, la version moderne et plus blessante du fil barbelé.

Il y a un édifice pour accueillir les nouveaux prisonniers, qu'on appelle « les poissons frais ». Il y a aussi une aile à sécurité minimum, pour les détenus les moins dangereux, une à sécurité moyenne, une autre à sécurité maximum et une prison pour les 85 condamnés à mort.

Non loin des clôtures de barbelés et de l'édifice où l'on exécute les condamnés (le Death Row), il y a un beau golf de neuf trous. Pas pour les détenus. Pour les employés de la prison et des visiteurs dont la concentration n'est pas perturbée par cet environnement particulier.

Le cimetière

Un peu plus loin, un cimetière contient un grand nombre de croix blanches. Les corps des détenus décédés non réclamés ou que les familles n'avaient pas les moyens de récupérer y sont enterrés après y avoir été conduit par un vieux corbillard noir tiré par un cheval. Comme jadis.

Il y a sur le site une caserne de pompiers, un bureau de poste et un chenil pour les chiens et le loup utilisés pour rattraper ceux qui tentent de s'échapper. Mais on ne s'évade pas à Angola. « La dernière tentative a eu lieu le 4 juillet 2005, dit Gary Young. Elle a duré 36 minutes. »

Il faut dire que la propriété est entourée par les courants rapides du Mississippi, des zones infestées d'alligators et une forêt qui regorge de serpents venimeux et d'ours noirs...

Travail obligatoire

Le travail des prisonniers est obligatoire à Angola... sauf pour ceux considérés comme très dangereux par l'administration. Ceux-là sont confinés 23 h sur 24 dans des cellules isolées de 2,70 m par 1,80 m. Les autres travaillent surtout dans les champs de canne à sucre, de coton, de maïs ou de légumes. Il y a aussi un troupeau de vaches et des écuries pour les chevaux. Les détenus sont payés quatre cents de l'heure.

Quand nous sommes passés, des prisonniers, pratiquement tous des Noirs, ramassaient des choux sous l'oeil attentif de gardiens armés de fusils. Quelques Blancs conduisaient des charrettes. « C'est la saison des choux, a dit Gary Young. Il y a donc du chou à manger tous les jours. Les prisonniers aiment ça. »

Le travail est dur. Si le prisonnier ne travaille pas assez fort, il a un rapport disciplinaire ou est envoyé au cachot. Par contre, les prisonniers qui ont gagné la confiance de la direction, après 10 ans de mise à l'épreuve, deviennent des «trusties». Il y en a 350. Ils ont des occupations mieux rémunérées (20 cents de l'heure) : palefrenier, secrétaire, guide du musée de la prison, cuisinier, ébéniste, chauffeur de camion, « house boy » du directeur de la prison ou prêtre d'une des chapelles. Certains font même partie d'une chorale gospel qui fait régulièrement le tour (surveillé) des églises de l'État.

Quelques prisonniers fabriquent les plaques minéralogiques de la Louisiane. D'autres réparent des fauteuils roulants envoyés au tiers-monde. Environ 300 détenus sont inscrits à l'école de la prison gérée par des baptistes. On y forme des missionnaires pendant quatre ans. Ils enseignent par la suite la Bible aux autres détenus.

Deux visites par mois... ou moins

Les prisonniers ont une liste de 10 personnes autorisées à les visiter. Le prisonnier a droit à deux visites par mois. Plus le temps passe, moins il reçoit de visites. Les détenus ne peuvent recevoir d'appels téléphoniques. Certains se sont mariés avec une femme de l'extérieur. Ils ont droit à une bise lors des visites. C'est tout. Le directeur de la prison, Burl Cain, a visité le pénitencier de Cowansville il y a quelques années. Il était surpris de constater qu'on permet au Québec des visites conjugales en prison.

Le détenu d'Angola n'est pas connecté à internet, mais peut lire des journaux, dont le magazine de la prison, The Angolite, et écouter la radio de la prison. La direction projette de créer une chaîne de télé. Le prisonnier ne peut recevoir de cadeaux à Noël.

Population vieillissante

La solitude, le travail, la famille qui l'abandonne, la dépression font que le prisonnier vieillit vite. On meurt beaucoup de cancers et de crises cardiaques à Angola. La direction reconnaît que l'espérance de vie y est plus courte qu'à l'extérieur. Un de ses défis est de soigner une population vieillissante. Le petit hôpital de la prison ne suffit pas et à cause des coûts, certains soins ne sont pas donnés, tels des transplantations de reins. Angola est pour les « prédateurs », pas pour de « vieux hommes mourants réhabilités », se plaît à dire Burl Cain, qui serait prêt à en faire libérer plus souvent quand ils ne représentent pas de risque pour la société.

Vivre au milieu des prisonniers

Sur le territoire, un quartier résidentiel est formé de petites maisons, avec piscines, centre communautaire et terrains de sport. Y vivent 1200 personnes, soit les 700 employés de la prison (40 % sont des femmes) et leur famille. Certaines familles vivent dans la cité-prison depuis des générations. On a rencontré un retraité né sur place. Son père y travaillait déjà. Son fils y travaille aussi. Les enfants des employés vont toutefois à l'école en dehors de la prison.

Ce reportage a été réalisé grâce à la collaboration de deux cinéastes canadiens, Kelly Saxberg et Ronald Harpelle. Ils ont invité La Presse à les suivre en Louisiane dans le cadre d'un documentaire sur l'histoire du fil barbelé dans le monde.