De son bureau de Paris, alors que ses compatriotes tunisiens manifestaient pour demander la fin du régime de Ben Ali, Sami Aloulou s'est senti impuissant. L'architecte de 28 ans était bien loin des rues de Sidi Bouzid et de Tunis. Mais il était toujours très près de son ordinateur.

«Pendant que les grandes villes s'embrasaient, j'ai senti le besoin de me joindre à la lutte à partir de Paris. C'est là que Facebook s'est imposé», raconte le jeune homme, assis dans le salon de ses parents, dans un des quartiers les plus cossus de la capitale tunisienne.

Du jour au lendemain, Sami Aloulou s'est joint avec une trentaine de personnes au groupe Anonymous et est devenu un combattant du web. «Notre champ de bataille, c'était le web. J'étais puceau dans ce genre d'intervention. On faisait circuler de l'information. On intervenait dans des forums de discussion. On envoyait des messages d'espoir. Pendant la révolution, ma vie est devenue complètement virtuelle.»

L'information relayée par l'internet mobilisait les manifestants. Inversement, les protestataires qui faisaient face à la police avec courage donnaient du courage aux militants du web. «Chacun intervenait à sa manière. Mais on peut dire que les vidéos (de la répression des manifestations) relayées sur Facebook ont été un vecteur primordial de la colère collective», estime Sami Aloulou.

Du virtuel au grand coup

Le groupe auquel il appartenait est devenu célèbre le jour où les plus habiles de ses membres ont réussi à pirater plusieurs sites gouvernementaux ainsi que celui de la banque Zitouna, qui appartenait au clan du président Zine el-Abidine Ben Ali.

Un jeune blogueur, Slim Amamou, soupçonné d'avoir participé à cette opération, a été arrêté à Tunis le 6 janvier, emprisonné et malmené par la police avant d'être relâché le 13, la veille de la chute du régime.

Cette libération a été l'une des dernières tentatives de Ben Ali pour calmer les esprits avant qu'il ne soit forcé de s'enfuir. Du jour au lendemain, Slim Amamou est devenu le symbole du front internet de la révolution tunisienne. Il a été nommé secrétaire d'État à la Jeunesse et aux Sports dans le gouvernement de transition - une nouvelle qu'il a diffusée sur Twitter.

Fin heureuse, dangereux combat

C'est là une fin heureuse pour cette dangereuse bataille souterraine, note Sami Aloulou. Même s'il était à Paris pendant les manifestations, à des années-lumière des gaz lacrymogènes et des tirs des snipers, le soldat virtuel d'Anonymous était convaincu que ce qu'il faisait était risqué. Pour garder la haute main sur le web tunisien, dans un pays où 30% de la population appartient à la grande famille des internautes, le régime de Ben Ali disposait d'une large équipe de cyperpoliciers dont les principaux mandats étaient de restreindre l'accès aux sites contestataires et de traquer les dissidents. Des dizaines d'entre eux ont été arrêtés depuis 10 ans. Les militants de la diaspora craignaient que leurs familles ne subissent des représailles.

Selon Sami Aloulou, les mêmes cyberescouades tentaient aussi de faire de la propagande pendant les manifestations de décembre et de janvier. «Notre rôle était de faire de la contre-propagande. L'information non vérifiée circulait et tout s'embrasait très rapidement», note le jeune homme, avec un peu de recul.

Après le départ de Ben Ali, Sami Aloulou a pris le premier avion pour Tunis afin de célébrer la victoire, qui, croit-il, est en partie celle des militants de l'internet. «La Tunisie a réussi la première révolution 2.0, estime-t-il. Les Iraniens ont essayé, mais nous, nous sommes allés jusqu'au bout.»