Il y aurait deux sortes de Jordaniens: les «vrais» et ceux qui sont d'origine palestinienne. Une distinction à la source de profondes tensions entre les sujets du royaume hachémite, explique notre envoyé spécial.

Comme des dizaines de milliers de Palestiniens, les parents de Mustafa Ghrouf-Khleifa ont fui l'avancée de l'armée israélienne lors de la guerre des Six Jours, en 1967, et trouvé refuge en Jordanie.

Plusieurs décennies plus tard, ils rêvent toujours de retourner s'établir en Cisjordanie, mais leur enfant n'y croit pas. «Je ne pense pas que ça va arriver», souligne sans émotion l'homme de 42 ans.

Il se sent résolument chez lui en Jordanie, où il est né, comme sa femme, Nadia. «On ne connaît rien de la vie là-bas», souligne cette mère de trois enfants.

La plupart des réfugiés palestiniens et de leurs descendants - qui forment près du tiers de la population du pays, selon un relevé des Nations unies - disposent d'un passeport et ont accès aux services publics. La vie n'est pas facile pour autant.

Dans le camp de Talbieh, où habite M. Ghrouf-Khleifa, à une trentaine de kilomètres au sud d'Amman, les tentes ont depuis longtemps fait place à des constructions bétonnées d'un étage ou deux le long de rues boueuses.

La famille vit dans un appartement miteux qui coûte une soixantaine de dollars par mois, payés grâce au modeste salaire du père, employé de manière irrégulière par la voirie.

Les difficultés économiques ne l'empêchent pas de tenir en haute estime le roi Abdallah II. «Il veille sur les gens et leur donne de l'aide», souligne-t-il.

Ibrahim Manseir, autre habitant de Talbieh, est plus amer: «La situation économique est mauvaise, ne dites pas qu'elle est bonne», lance-t-il à un étudiant dont les propos à La Presse lui paraissent trop conciliants. Assez typiquement, l'homme de 43 ans, croisé dans un petit magasin, n'a rien contre le monarque hachémite. Mais il déplore la discrimination économique et politique dont font l'objet les personnes d'origine palestinienne. Les Jordaniens issus des populations établies historiquement à l'est du Jourdain remportent la part du lion des emplois dans la fonction publique et sont surreprésentés au gouvernement et au Parlement, accuse-t-il.

Certains résidants d'Amman parlent spontanément en entrevue des «vrais» Jordaniens, reconnaissant de facto une forme de discrimination.

Les tensions entre les deux groupes avaient forcé l'annulation, à l'été 2009, d'un match de football durant lequel des amateurs avaient lancé des slogans contre les Jordaniens d'origine palestinienne et la reine Rania, elle-même d'origine palestinienne. L'ambassade américaine, dans un câble diplomatique révélé par WikiLeaks, avait alors souligné que les médias s'étaient abstenus d'expliciter les causes de la crise, révélatrice de «l'ultranationalisme jordanien».

Mohammed Omar, journaliste et blogueur de la capitale, pense que la population d'origine palestinienne est effectivement marginalisée dans le système actuel et demeure peu active sur le plan politique même si sa situation pourrait justifier des manifestations de colère. La crainte de sanctions n'est pas étrangère à cette passivité relative, dit-il.

Liens avec Israël

Faute de renverser le système politique jordanien, la population d'origine palestinienne pourrait chercher à l'avenir à peser plus lourd sur l'orientation du pays à l'égard d'Israël. La Jordanie est le seul pays arabe, avec l'Égypte, à avoir normalisé ses relations avec l'État hébreu.

Certains Jordaniens d'origine palestinienne ne cachent pas leur irritation devant l'attitude conciliante du régime sans aller jusqu'à la critiquer directement. «Avec l'aide d'Allah, nous triompherons un jour des Juifs et d'Israël», lance avec colère Younis, un commerçant rencontré au centre-ville.

Mohammad Khleil, Jordanien d'origine palestinienne, vit près du camp de Talbieh. Il estime qu'il n'y a pas d'autre solution que la paix: «C'est dans l'intérêt du pays de chercher à rapprocher les deux parties», souligne l'homme de 45 ans, qui se félicite d'avoir pu envoyer sa mère en visite dans sa ville natale, en Cisjordanie, grâce aux accords avec Israël.

Farid Kheitan, analyste politique au journal Al-Arab Al-Youm, ne croit pas que le régime va radicalement changer de position envers Israël même si, selon lui, une majorité de Jordaniens s'oppose à la ligne conciliante du gouvernement. Il n'est cependant pas impossible, ajoute-t-il, que les relations soient «gelées» pour protester contre l'impasse actuelle dans les pourparlers de paix.

Mustafa Ghrouf-Khleifa, qui peine à joindre les deux bouts, n'a pas trop de temps à consacrer à ces questions diplomatiques et préfère s'en remettre au jugement du roi: «Il cherche une solution pour la paix. Espérons qu'il va trouver.»

Des internautes en Syrie ont annoncé hier que les sites Facebook et YouTube étaient accessibles pour la première fois depuis trois ans dans le pays. Les autorités, qui ont interdit ces sites populaires, n'ont pas fait de commentaire. Plusieurs internautes ayant requis l'anonymat pour des raisons de sécurité ont déclaré hier à l'Associated Press que les deux sites étaient accessibles directement. Le directeur du Centre syrien pour les médias et la liberté d'expression, Mazen Darwish, a déclaré avoir une «confirmation semi-officielle» que l'interdiction était en train d'être levée. Il n'a pas fourni plus de précisions. La mesure pourrait apparaître comme une concession pour éviter des troubles après les soulèvements populaires en Égypte et en Tunisie. Mais il ne s'agit pas d'une concession majeure puisque de nombreux Syriens accèdent déjà aux sites interdits grâce à des serveurs relais. Le président de la Syrie, Bachar el-Assad, a déclaré récemment au quotidien Wall Street Journal vouloir instaurer des réformes politiques.