Le pouvoir contesté du président Hosni Moubarak a averti mercredi que l'armée interviendrait en cas de «chaos» en Égypte, où  les manifestations massives ont gagné de grandes villes et des violences sanglantes ont touché le sud reculé.

Maintenant la pression, la Maison-Blanche a estimé que la poursuite de la mobilisation populaire montrait que les réformes politiques n'étaient encore pas suffisantes, alors que le département d'État a encouragé l'armée égyptienne à continuer à faire preuve de modération.

Le président américain Barack Obama a également souligné la nécessité d'une transition politique significative et durable en Egypte lors d'une conversation téléphonique avec un de ses alliés clé, le roi Abdallah d'Arabie saoudite, selon la Maison Blanche.

Le ministre israélien de la Défense Ehud Barak a lui discuté à la Maison-Blanche de la crise égyptienne avec son homologue Robert Gates et la secrétaire d'État Hillary Clinton, selon la présidence américaine.

Au 16e jour de la révolte, sur la place Tahrir au Caire, symbole du mouvement de contestation, des dizaines de milliers de manifestants ont encore réclamé le départ de M. Moubarak, qui a gouverné l'Égypte d'une main de fer pendant près de 30 ans.

Les protestations ont touché une ville à 400 km au sud du Caire, El Kharga, où cinq personnes, blessées la veille dans des heurts entre manifestants et policiers qui ont fait usage de balles réelles, ont succombé mercredi, selon des sources médicales. Il y a aussi eu une centaine de blessés.

A la contestation politique se sont ajoutés des mouvements sociaux portant sur les salaires ou les conditions de travail, dans les arsenaux de Port-Saïd (nord-est), dans des sociétés privées travaillant sur le canal de Suez (est) ou encore à l'aéroport du Caire.

Durcissant le ton à l'égard des manifestants qui ont rejeté toutes les mesures d'apaisement du régime, le ministre des Affaires étrangères, Ahmed Aboul Gheit, a prévenu que l'armée interviendrait «en cas de chaos pour reprendre les choses en main».

«Si cela arrive (...), les forces armées se verront obligées de défendre la Constitution et la sécurité nationale de l'Égypte. Nous serons dans une situation très dangereuse», a-t-il dit, selon l'agence officielle Mena.

M. Aboul Gheit a aussi accusé les Etats-Unis de chercher à «imposer» leur volonté à l'Égypte par leur exigence de réformes immédiates, dans un entretien à la chaîne américaine PBS.

Déjà mardi, le vice-président Omar Souleimane avait averti qu'une fin immédiate du régime «signifierait le chaos».

Les propos de M. Souleimane ont été dénoncés par l'opposition, dont les Frères musulmans, bête noire du régime. «Il s'agit d'une menace inacceptable aux yeux du peuple égyptien», a affirmé un responsable de la confrérie. Les manifestations «continueront quelles que soient les menaces».

L'armée, épine dorsale du régime, a été appelée le 28 janvier en renfort de la police, en particulier pour faire respecter le couvre-feu instauré au Caire, à Alexandrie (nord) et Suez (est). Présente autour de la place Tahrir, elle n'est pas intervenue pour faire partir les milliers de manifestants anti-Moubarak qui y sont installés jour et nuit.

Le quotidien britannique The Guardian a toutefois fait état mercredi de témoignages accusant l'armée d'avoir détenu au secret des centaines de manifestants et d'en avoir torturé certains.

Les manifestants refusent de lâcher prise, exigeant toujours le départ immédiat de M. Moubarak, 82 ans, qui a promis de s'effacer à la fin de son mandat en septembre.

«Je n'ai pas peur, j'ai déjà vu la mort», a assuré Ahmad Talal, étudiant de 25 ans, parmi une foule dense agitant des drapeaux égyptiens place Tahrir. «Je ne crains pas les paroles ou les menaces de Souleimane, parce que nous sommes là pour gagner notre liberté et celle de notre pays».

Non loin de là, des centaines de manifestants ont encerclé le Parlement et le siège du gouvernement au Caire, situés face à face. Les deux bâtiments étaient protégés par des blindés et le Conseil des ministres a dû se tenir dans un autre lieu.

La révolte a aussi touché la ville d'Assiout, au sud du Caire, où des manifestants anti-Moubarak ont bloqué une voie de chemin de fer et coupé une autoroute reliant le nord et le sud du pays.

Des manifestants ont également saccagé un bâtiment officiel à Port Saïd (nord-est), à l'entrée méditerranéenne du canal de Suez.

Parallèlement, la vie a continué de reprendre son cours au Caire, où la plupart des commerces avaient rouvert.

Mais le nouveau ministre de la Culture, Gaber Asfour, a annoncé sa démission, en invoquant des «raisons médicales».

Depuis le 3 février, les manifestations se déroulent le plus souvent dans le calme. Des heurts entre policiers et manifestants les premiers jours, puis entre pro et anti Moubarak le 2 février, ont cependant fait près de 300 morts, selon l'ONU et Human Rights Watch, ainsi que des milliers de blessés.