Une immense caricature du président Hosni Moubarak est accrochée devant le parlement égyptien. Sur l'affiche, un slogan: «Faisons tomber le régime.» Devant l'édifice, des manifestants appellent au départ de l'homme qui a imposé sa poigne de fer sur leur pays pendant près de trois décennies.

Pour la première fois depuis le début du soulèvement populaire en Égypte, des protestataires ont quitté hier la grande place Tahrir pour porter leurs revendications directement devant le siège du pouvoir.

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Ils n'étaient pas très nombreux - quelques centaines tout au plus. Mais ils ont réussi à bloquer l'accès du bâtiment pendant la journée. Et hier soir, plusieurs s'apprêtaient à dormir dans la rue et à reprendre leur manifestation aujourd'hui.

«Ce Parlement a été élu par un vote frauduleux, nous voulons qu'il soit dissous, nous voulons un Parlement démocratique», clame Cherif, ingénieur de 29 ans, qui préfère taire son nom de famille - dans une dictature, même chancelante, mieux vaut ne pas prendre de risque.

Autour de nous, un groupe se forme. «L'Égypte n'aime pas Moubarak», dit un autre manifestant. «Nous n'aimons pas Omar Souleimane non plus», ajoute un troisième. Omar Souleimane est le nouveau vice-président égyptien. Chargé de la transition vers l'ère post-Moubarak, il semble avoir l'appui de Washington.

Mais les protestataires ne veulent pas de transition. Ils veulent entrer dans l'ère post-Moubarak maintenant. Ils craignent que, s'ils relâchent la pression, leurs revendications ne soient diluées dans d'interminables manoeuvres dilatoires. Ils craignent également que, après avoir échoué à réprimer leur révolte, le régime la laisse maintenant s'essouffler tranquillement, à mesure que la vie revient à la normale et que les habitants du Caire reprennent leurs activités habituelles.

«La situation est gelée, Moubarak nous laisse à la place Tahrir, nous avons peur qu'il nous y abandonne pour toujours», explique un autre protestataire, Alaa Mohamed.

Déplacer les manifs

L'idée est donc née de déplacer les manifestations. «Aujourd'hui, c'est le parlement; plus tard, on ira devant la télévision nationale, ou devant le palais présidentiel», prévient Alaa Mohamed.

Cette multiplication des lieux de manifestation, c'est la dernière stratégie des militants dans la partie de bras de fer qui les oppose depuis 16 jours à un régime qui recule peu à peu, mais qui refuse de céder sur l'essentiel.

Depuis le début du mouvement de révolte, Hosni Moubarak a accepté de s'adjoindre un numéro 2, a offert des hausses salariales de 15% aux employés de l'État, a promis d'entreprendre des réformes constitutionnelles et de ne pas chercher à renouveler son mandat en septembre. Mais en attendant, il s'accroche. Cette semaine, il a démenti les rumeurs selon lesquelles il préparerait une sortie élégante sous forme de voyage médical en Allemagne.

Dans les derniers jours, en plus de la carotte, le régime a aussi brandi le bâton: les manifestations doivent cesser bientôt, sinon elles pourraient être écrasées par la force, a menacé Omar Souleimane.

Cela a fait dire à un manifestant qu'Hosni Moubarak joue à «qui aura le plus de souffle».

Mais qui donc a eu l'idée de fragmenter géographiquement les manifestations? «Nous n'avons pas de leader, nous sommes tous des Égyptiens», répondent les protestataires.

«Vous voyez les gens qui crient, là-bas? Ce sont des communistes - enfin, c'est un parti de gauche», explique un manifestant. Dans la foule rassemblée devant le parlement, il y a des gens de tous les horizons, dont un ancien député des Frères musulmans que tout le monde appelle «docteur» avec déférence. Il y a aussi Hanan Fahmi, une mère de famille de 38 ans, qui réclame «le droit de vivre dans la sérénité» et qui comptait passer la nuit dans la rue avec ses deux enfants de 11 et 9 ans.

Il y a aussi Mohamed Saïd, professeur de médecine de 55 ans, qui dit manifester pour pouvoir enfin respirer de l'air frais. «Ce pays était désespéré. Enfin, nous retrouvons notre dignité.»

Pourquoi a-t-il quitté la place Tahrir pour protester devant le parlement? «Si vous vous y connaissez un peu en matière de révolutions, vous savez qu'il est important de les répandre...»

La Maison-Blanche a estimé hier que la poursuite de la mobilisation populaire en Égypte montrait que les réformes politiques dans ce pays ne répondent pas au «seuil minimum» des attentes des Égyptiens, a affirmé le porte-parole du président Barack Obama, Robert Gibbs. M. Gibbs a aussi réitéré l'appel des autorités américaines à des «mesures claires et concrètes», ainsi qu'à des «changements irréversibles» dans le fonctionnement du gouvernement égyptien. De son côté, le ministre égyptien des Affaires étrangères, Ahmed Aboul Gheit, a prévenu hier que l'armée interviendrait «en cas de chaos pour reprendre les choses en main».