Peu de dirigeants dans l'histoire étaient réellement fous. Kadhafi est l'un d'eux, disent des psychologues.

Quand Mouammar Kadhafi a suggéré dans ses discours cette semaine que ses opposants étaient sous l'effet de drogues hallucinogènes, les blagues n'ont pas tardé à surgir : peut-être que le « guide spirituel » libyen devrait prendre quelques pilules lui aussi, ont raillé les mauvaises langues...

Mais pour le psychologue belge Pascal de Sutter, joint cette semaine à Louvain-la-Neuve, un patient pareil est pratiquement intraitable. « On peut lui donner des médicaments pour le rendre moins excessif, pour stabiliser son état. Mais il n'y a pas une grande motivation de changement chez le patient. Pour le psychopathe, ce sont les autres qui ont tort! »

Le cas de Mouammar Kadhafi passionne les psychologues politiques depuis des décennies. « Beaucoup de dirigeants, qu'ils soient dictateurs ou pas, ont des personnalités très marquées, à la limite du dysfonctionnement. Charles de Gaulle était narcissique, Nicolas Sarkozy a une personnalité très particulière, Jean Chrétien aussi d'ailleurs », lance, narquois, Pascal de Sutter, qui a exploré la question dans son livre Ces fous qui nous gouvernent, en 2007. « Ces gens ne sont pas fous, ils ont assez d'équilibre mental pour ne pas être dysfonctionnels. Il y a eu peu de dirigeants dans l'histoire qui étaient fous, au sens psychiatrique du terme. Mais il y a une exception : notre ami Kadhafi. »

Fou, mais encore ? Kadhafi présente une « personnalité limite (borderline) », dit le Dr Jerrold Post, directeur du programme de psychologie politique à l'Université George Washington, joint cette semaine dans la capitale américaine. « Il est habituellement au-dessus de la limite, en lien avec la réalité. Mais il peut basculer à deux occasions : lorsqu'il a du succès, et quand il subit un échec. »

Les deux psychologues notent que Kadhafi subit en ce moment un stress important qui ne fait que renforcer son délire. Ses propos sur une intervention étrangère pour droguer les jeunes libyens révèlent, pour Jerrold Post, la conviction profonde de Kadhafi d'être un personnage irremplaçable. « Ce ne sont pas que des mots. Il est inconcevable pour lui que les Libyens ne puissent pas l'aimer. Donc, si quelqu'un s'y oppose, c'est forcément à cause d'une force étrangère. »

Dictateur, profil de l'emploi

« Les dictateurs ont des profils extrêmement dominants, ambitieux et souvent avec une tendance de psychopathie, dit Pascal de Sutter. Pour arriver à être dictateur, il ne faut pas hésiter à écraser les autres. Quelqu'un qui a des scrupules, un niveau d'altruisme relativement élevé, ne pourra jamais y arriver. »

Une bonne dose de charisme, pour enjôler les sains d'esprit, ne nuit pas non plus. « Adolf Hitler, Fidel Castro et Kadhafi étaient extrêmement charismatiques, dit M. de Sutter. Mais Staline ne l'était pas du tout. Il menait par la terreur. »

Tous les dictateurs ne sont pas complètement déraisonnables, rappelle le psychologue. « Hosni Moubarak a une personnalité forte et imposante, et il ne rechignait pas à éliminer ses opposants d'une façon ou d'une autre. Mais malgré tout, même s'il était dictateur, c'était quelqu'un de relativement raisonnable, qu'on pouvait raisonner. Kadhafi est complètement déraisonnable. »

Et le temps n'arrangera pas les choses. À son état actuel s'ajoutera aussi de la démence sénile, analyse le psychologue. « Il va prendre des décisions de plus en plus aberrantes et excessives. Il va probablement développer une crise de paranoïa en s'imaginant qu'on lui veut du mal. Ce qui est peut-être la réalité, remarquez... »