Des dizaines de milliers de Bangladais qui travaillaient en Libye pour de grandes firmes étrangères ont été abandonnés à leur sort au milieu des violences qui secouent le pays. Terrorisés, sans ressources, ceux qui ont réussi à fuir s'entassent à la frontière tunisienne. Mais des milliers d'autres sont retenus en Libye.

Humayun Khabir et ses compatriotes bangladais ont tenté pendant plusieurs jours de protéger le chantier de construction de la firme coréenne Hanil, responsable d'un immense projet immobilier en banlieue de Tripoli. Mais les brigands étaient trop nombreux. Ils sont entrés dans le chantier armés de fusils et des machettes et ont tout saccagé.

Les responsables coréens de la firme, qui emploie 2000 Bangladais en Libye, s'étaient déjà enfuis sans demander leur reste. «Ils nous ont abandonnés là-bas», dit M. Khabir, arrivé mercredi soir au poste-frontière de Ras Jdir, en Tunisie.

Les trois heures de route entre Tripoli et la frontière ont été les plus longues de sa vie. Arrêtés à une vingtaine de barrages routiers, les Bangladais ont été dévalisés. «Ils ont pris nos montres, nos portables, notre argent, même nos cigarettes et nos vêtements.

- Qui?

- Des civils ou des policiers, ce n'était pas clair.»

M. Khabir se trouve maintenant en Tunisie, mais son calvaire n'est pas terminé pour autant. Il campe à même le sol aux abords du poste-frontière, avec plus de 5000 compatriotes, dans des conditions épouvantables. Et les autorités s'attendent à ce que 30 000 autres Bangladais arrivent en Tunisie dans les prochains jours.

«Nous allons mourir si nous restons ici!» se désespère Arefur Rahman en montrant les détritus et les flaques d'eau stagnante au coeur du campement surpeuplé. «Nous n'avons pas de douche, pas de toilettes, pas de nourriture correcte. Nous devons rentrer au Bangladesh de toute urgence, mais notre gouvernement ne fait rien pour nous aider.»

Livrés à eux-mêmes

Le Bangladais Salem Zera travaillait pour la firme de génie chinoise Sinomach à Tripoli. Aujourd'hui, il croupit au camp de réfugiés pendant que les employés chinois de la firme sont logés dans un hôtel quatre étoiles à Zarzis, station balnéaire au bord de la Méditerranée.

Les firmes étrangères établies en Libye ont mis sur pied de coûteux plans de sauvetage pour rapatrier leurs ressortissants. Mais plusieurs n'ont rien prévu pour leur main-d'oeuvre bon marché. Or, ces milliers de travailleurs sont «hautement vulnérables», s'inquiète l'organisme Human Rights Watch (HRW).

«Ceux qui ont le plus besoin d'aide proviennent de pays pauvres d'Asie et d'Afrique. Ils sont retenus à Benghazi et à la frontière tunisienne, leurs gouvernements n'ayant apparemment pas la capacité ou la volonté de les sauver», dit Peter Bouckaert, directeur des urgences de l'organisme.

Le Bangladesh n'a pas les moyens d'organiser un rapatriement d'une telle envergure. C'est d'ailleurs pour échapper à la pauvreté dans son pays que M. Khabir s'est exilé en Libye, il y a un an, laissant sa femme et ses deux petites filles à Dacca. «Au Bangladesh, il n'y a pas de travail pour nous. Nous sommes venus ici pour gagner notre vie.»

Ses compatriotes et lui se retrouvent aujourd'hui sans un sou, pris dans un conflit qui n'est pas le leur. Malgré ses propres tourments, M. Khabir trouve encore le moyen de s'inquiéter pour ses compatriotes restés en Libye. «Ils sont en très mauvaise posture. J'ai peur pour eux.»

Établi à Benghazi, M.Bouckaert affirme que «des milliers et des milliers de travailleurs étrangers» sont bloqués dans la ville, principal siège des insurgés. «Jour après jour, des gouvernements parviennent à envoyer des bateaux pour évacuer des milliers de ressortissants, mais les plus vulnérables sont laissés derrière.» Un membre de HRW a vu deux Africains repoussés d'un navire tunisien à coups de bâtons et de couteaux.

Les travailleurs originaires de l'Afrique subsaharienne doivent pourtant être évacués d'urgence. Plusieurs d'entre eux ont été attaqués par des insurgés, qui les prennent pour des mercenaires africains recrutés par Mouammar Kadhafi pour écraser la rébellion.