Ils sont les damnés de la révolution libyenne: les habitants de Syrte, accusés d'avoir soutenu jusqu'au bout Mouammar Kadhafi, brûlent de colère dans leur cité dévastée, conspuant les forces pro-CNT, l'OTAN et le président français Nicolas Sarkozy.

Syrte ne compte plus que quelques centaines d'habitants - sur une centaine de milliers avant le conflit - dans une désolation de béton pulvérisé, de bâtiments calcinés aux murs troués comme de la dentelle, d'avenues entières inondées par des canalisations crevées, de cadavres pourris.

Il n'y a ni eau courante, ni électricité, ni nourriture. La majorité des habitants présents, réfugiés chez des proches ou dans le désert, sont simplement de passage pour récupérer dans les ruines les rares biens ayant échappé à la destruction et au pillage.

Quelques-uns balaient les douilles jonchant la chaussée devant leur porte, montrant qu'ils entendent rester. Des coups de marteau résonnent dans des immeubles criblés d'impacts, aux vitres brisées.

Dans le quartier n°2, où s'était retranché le dernier carré pro-Kadhafi jusqu'à jeudi, lorsque Mouammar Kadhafi a été arrêté puis tué dans des circonstances floues, Misbah Mouftah, 43 ans, est revenu avec sa femme et ses sept enfants, âgés de 18 mois à 12 ans.

«Il reste deux pièces dans lesquelles on peut vivre, mais sans eau ni électricité, c'est difficile. Et on n'a rien à manger», lâche-t-il.

L'intérieur de sa maison a été pillé, les meubles brisés. «Les hommes de Kadhafi ont fait ça, et ensuite les thowar (combattants révolutionnaires), ils ont tout volé», constate-t-il, écoeuré.

«Sarkozy est un homme mauvais! C'est lui qui a fait ça à cette ville! Il est comme Hitler!», hurle un voisin d'une soixantaine d'années, à l'attention du président français, en pointe dans le soutien international à la révolution.

Azarouk Azarouk, 42 ans, farfouille lui aussi dans les ruines de son foyer, dans le quartier n°1 voisin. Sa famille a fui à la mi-septembre, après «22 jours sous les bombes». Son frère Hicham «était resté pour garder la maison, et maintenant il a disparu».

«À cause de Sarkozy, je n'ai plus de maison, plus de quartier, plus de ville...», dit-il. Son père Abdallah s'énerve: «Le peuple libyen n'oubliera pas ce que la France et l'OTAN ont fait ici!»

Autour de lui, quelques hommes acquiescent. «Sarkozy est un terroriste, Kadhafi n'a jamais fait ça à son peuple», juge l'un d'eux, semblant ignorer le sort réservé à la ville de Misrata, à 250 km au nord-ouest, assiégée pendant des mois au printemps et bombardée jusqu'à la mi-août.

Les critiques fusent d'ailleurs contre les combattants de Misrata, accusés d'avoir pillé, brûlé, tiré obus et roquettes sans distinguer les civils des hommes de Mouammar Kadhafi, originaire d'un village proche et notoirement populaire à Syrte.

Des accusations plus graves encore sont proférées.

Faraj El-Hemmali est un volontaire ramassant les cadavres. «Je suis au bord d'exploser de colère», suffoque-t-il devant l'hôtel Al-Mahari où un journaliste de l'AFP avait compté samedi 65 à 70 corps, parfois ligotés, souvent la tempe trouée, allongés sur la pelouse. Certains étaient encore là lundi.

Selon Human Rights Watch (HRW), les victimes sont des «partisans de Kadhafi» tués lors d'une «exécution de masse». Et Faraj est du même avis.

Abdelwahab Al-Hadat et Ibrahim Al-Amrouni, deux combattants pro-CNT de Benghazi (est), veulent relativiser le massacre, l'expliquant par «la vengeance» car «ceux de Misrata ont vécu la même chose» lorsque leur ville était pilonnée.

Même eux sont impressionnés par l'ampleur des destructions: «C'est terrible, ce qui s'est passé ici», admet Ibrahim, qui recherche des dépouilles d'amis disparus. Un réservoir d'eau à ciel ouvert retient son attention: huit corps gonflés de gaz de décomposition y flottent, entourés d'une mousse verdâtre.

HRW n'a pas pu déterminer qui ils étaient. «Des thowar tués par les hommes de Kadhafi», assure Ibrahim. Impossible de vérifier l'information.