Après avoir financé, en pleine guerre libyenne, une mission d'observation sur le terrain, SNC-Lavalin était si satisfaite du résultat - un rapport extrêmement favorable au régime Kadhafi - qu'elle a songé à poursuivre sa collaboration avec son auteure, la consultante ontarienne Cynthia Vanier.

Cette dernière est détenue depuis plus d'un mois au Mexique, où elle est soupçonnée d'avoir tenté d'organiser la fuite de Saadi Kadhafi, le fils de l'ancien dictateur libyen.

Le rapport de Mme Vanier, très critique à l'égard des frappes de l'OTAN et des exactions commises par les rebelles en Libye, a été envoyé au ministère des Affaires étrangères du Canada au début du mois d'août, alors que Mouammar Kadhafi s'accrochait toujours au pouvoir à Tripoli.

Ottawa n'a pas été impressionné par ce document de cinq pages, qui lui suggère de changer son fusil d'épaule puisqu'il n'a pas été correctement informé de la situation lorsqu'il s'est engagé dans la guerre en Libye.

Le rapport, diffusé par la CBC, fait état de la destruction de nombreuses maisons par les bombardements de l'OTAN, une campagne qui a provoqué des «pertes catastrophiques» et une «animosité croissante à l'égard de l'implication de l'ONU».

Mme Vanier écrit avoir vu de «jeunes enfants tremblants et terrifiés» à l'idée d'être tués par les bombes de l'OTAN et des «flots de réfugiés» qui, après avoir fui les rebelles de Benghazi et de Misrata, ont été accueillis, logés et nourris par le gouvernement de Mouammar Kadhafi.

Nulle part dans ce rapport il n'est question des exactions commises par le régime de l'ancien dictateur, qui a écrasé la révolte dans le sang avant de fuir Tripoli, puis d'être finalement assassiné, le 20 octobre.

«Rétablir la vérité»

Un haut dirigeant de SNC-Lavalin s'est réjoui des conclusions de ce rapport, qui «ouvrent les yeux».

«Espérons qu'en tant que tierce partie neutre, les résultats de vos recherches pourront rétablir la vérité sur les événements réels qui se produisent sur le terrain», a écrit Stéphane Roy, vice-président aux relations aux investisseurs de SNC-Lavalin dans une lettre adressée à Mme Vanier le 4 août. «Nous voulons continuer à travailler avec vous» pour planifier un éventuel redémarrage des projets de SNC-Lavalin en Libye, ajoute M. Roy dans cette lettre diffusée sur le site web de la CBC.

Pendant des années, le régime Kadhafi a été l'un des plus importants clients de SNC-Lavalin. Avant le soulèvement, les contrats de la firme d'ingénierie québécoise en Libye totalisaient 1 milliard de dollars. Ses projets ont été suspendus lorsque la révolte a éclaté, en février.

Dans une seconde lettre datée du 15 août, Stéphane Roy demande à Mme Vanier la meilleure façon «d'ouvrir un dialogue avec le nouveau gouvernement et d'assurer que nos contrats et engagements seront respectés».

SNC-Lavalin affirme n'avoir finalement retenu les services de Mme Vanier que pour la mission de juillet. «Nous avons discuté de la possibilité de prolonger son mandat pour y inclure un plan de réintégration dans ce pays, mais nous avons rapidement conclu que ce n'était pas nécessaire», soutient la porte-parole Leslie Quinton.

La semaine dernière, les autorités mexicaines ont affirmé que Mme Vanier était à la tête d'un complot visant à faire passer clandestinement Saadi Kadhafi et sa famille au Mexique. Elle aurait falsifié des documents, ouvert des comptes bancaires et acheté des propriétés au Mexique pour préparer la venue du fils du dictateur.

Mme Vanier a été arrêtée le 10 novembre, après une enquête de deux mois des services de renseignement mexicains. Selon eux, Mme Vanier était en contact direct avec la famille Kadhafi qui finançait les opérations.

En «détention préventive», Mme Vanier n'a encore été accusée de rien. Elle nie tremper dans un complot. Ses proches n'y croient pas non plus. Ils pensent que cette mère de 52 ans, qui a surtout travaillé auprès des communautés autochtones, a probablement été victime de sa naïveté.