Les affrontements entre coptes et forces de l'ordre, qui ont fait 24 morts dimanche au Caire, ont fortement ébranlé la société égyptienne. Première conséquence notable: un vice-premier ministre a proposé hier sa démission, qu'a refusée l'armée. Explication de cette éruption de violence en cinq questions.

Q Quel a été l'élément déclencheur des violences de dimanche?

R Les coptes s'étaient rassemblés au départ pour une marche pacifique. Ils réclamaient qu'une église près d'Assouan, en Haute-Égypte, en partie brûlée la semaine dernière, soit reconstruite. Et que les responsables de l'attaque contre l'édifice soient arrêtés et jugés. Outre cette revendication précise, les manifestants protestaient contre le Conseil suprême des forces armées, qui fait la sourde oreille à leurs demandes, principalement la fin de la discrimination concernant la construction de lieux de culte.

Q Peut-on parler de violences confessionnelles?

R Depuis la révolution de janvier, l'Égypte connaît une recrudescence de tensions religieuses. En mars, un mois à peine après le départ du président Hosni Moubarak, de violents heurts avaient éclaté entre chrétiens et musulmans au Moqattam, faisant 13 morts, au lendemain de l'incendie d'une église dans le sud de la capitale. Même tragédie, deux mois plus tard, en mai. Dans le quartier populaire d'Imbaba, toujours au Caire, 15 personnes avaient été tuées et 200 blessées après l'attaque d'une église, où une chrétienne convertie à l'islam était présumément retenue. Mais les violences de dimanche sont un cas à part. Cette fois-ci, l'affrontement a eu lieu avec l'armée. Pour la première fois depuis la révolution, les militaires ont quitté leur position attentiste: lors des affrontements d'Imbaba, ils avaient laissé faire la population. Dimanche, ils ont usé de moyens répressifs très lourds. Ils ont chargé la foule avec des véhicules blindés et ont tiré à balles réelles.

Q Quelle est la position des coptes aujourd'hui en Égypte?

R Les coptes, qui représentent de 6 à 10% de la population égyptienne, ont participé activement à la révolution de janvier. Mais le temps de l'unité entre chrétiens et musulmans semble révolu. La plupart des chrétiens attendent avec circonspection l'organisation des élections législatives à partir de novembre prochain, un scrutin pour lequel les Frères musulmans sont favoris. Autre crainte: les salafistes. Ces islamistes, dont la philosophie est de suivre à la lettre les préceptes du Coran, ont pignon sur rue depuis la révolution. Ils ont réussi à mobiliser des dizaines de milliers de personnes en juillet dernier et souhaitent instaurer une république islamique, dans laquelle les chrétiens seraient une communauté gérée par le clergé. Dans ce contexte, beaucoup de coptes songent à quitter le pays.

Q Quelle est l'implication des médias dans ces affrontements?

R La télévision d'État a très clairement incité les gens à descendre dans la rue en annonçant en boucle que les coptes attaquaient l'armée, puis en exhortant les Égyptiens à défendre les militaires. Pendant plusieurs heures, les médias ont évoqué la mort de trois soldats, sans faire état d'une seule victime parmi les manifestants. Le lendemain, le ministre de l'Information est revenu sur ces chiffres. Il s'avère qu'aucun soldat n'est mort dimanche soir.

Q Comment expliquer la présence de casseurs dans les rues du Caire?

R Dès dimanche, de nombreux témoins ont évoqué la présence de baltagueyya, des casseurs payés pour terroriser les citoyens. C'est également ce qu'a laissé entendre le premier ministre Essam Charaf en parlant de complot. Le patriarche Chenouda, chef de l'Église copte, a quant à lui parlé d'«inconnus infiltrés» parmi les manifestants. On ne sait qui sont ces fauteurs de troubles, ni qui sont leurs employeurs. Beaucoup d'Égyptiens soupçonnent des hommes forts du régime de Moubarak d'organiser une contre-révolution pour semer le chaos, à quelques semaines des élections législatives.