Longtemps réticents, mais contraints de s'adapter au nouvel ordre politique égyptien, les États-Unis dialoguent aujourd'hui avec les Frères musulmans, malgré des inquiétudes tenaces sur l'attitude du mouvement islamiste envers les femmes, les minorités ou Israël.

Après la chute d'Hosni Moubarak en février 2011, le Parti de la liberté et de la justice (PLJ), issu du mouvement des Frères musulmans, a largement remporté les deux premières phases des législatives et est aujourd'hui très bien placé pour remporter la troisième phase du scrutin qui a débuté mardi.

«C'est sûr qu'aujourd'hui les Frères musulmans sont les seuls interlocuteurs valables» et que les responsables américains n'ont pas d'autre choix que de dialoguer avec eux, résume Marina Ottoway, de la Fondation Carnegie.

Avant même les élections législatives qui ont débuté en novembre, les États-Unis avaient pris conscience de la nécessité de reprendre contact avec les Frères musulmans, mouvement politique le mieux organisé d'Égypte depuis la chute du parti d'Hosni Moubarak.

Le 30 juin, la secrétaire d'État, Hillary Clinton, avait ainsi déclaré que les États-Unis «continuaient leur approche de contacts limités» avec les Frères musulmans dans le cadre de la transition en Égypte, une pratique selon elle «adoptée par moments depuis cinq ou six ans».

Auparavant, explique Mme Ottoway à l'AFP, l'administration américaine s'était «pour l'essentiel retrouvée sur la ligne d'Hosni Moubarak», pour qui les Frères et leurs liens avec des militants islamistes constituaient une menace pour la stabilité de l'Égypte et de la région, même si le mouvement a renoncé à la violence il y a plusieurs décennies.

Pays le plus peuplé du monde arabe, l'Égypte est un des pivots de la politique américaine au Proche-Orient depuis 1979, quand Le Caire est devenu le premier pays arabe à signer un traité de paix avec Israël.

«Les États-Unis ont dans l'ensemble soutenu la politique répressive de Moubarak à l'encontre des Frères musulmans», souligne Mme Ottaway, rappelant même que des responsables américains avaient décliné des invitations de la fondation Carnegie à rencontrer des groupes islamistes, dont les Frères musulmans, après les élections de 2005.

«Pour les États-Unis, reprendre le dialogue avec les Frères musulmans, c'est une étape importante, c'est même une étape qui aurait dû être franchie il y a longtemps, mais ils s'y étaient refusé», pointe Marina Ottoway: «cela représente un grand changement, adopté par nécessité».

Pour Nathan Brown, professeur à l'université George-Washington, les Frères musulmans ont «envoyé juste assez de signaux rassurants pour accroître légèrement le confort des États-Unis à l'idée de dialoguer avec eux» et permettre la reprise de contacts.

Mais même si les Frères musulmans ont conscience que les États-Unis sont un acteur majeur sur le plan diplomatique avec lequel il faut travailler, «il n'y a aucun doute sur le fait qu'il s'agit d'un mouvement socialement et politiquement très conservateur», dont les positions à l'égard des femmes ou de la minorité chrétienne d'Égypte peuvent susciter l'inquiétude.

Selon Nathan Brown, l'attitude des Frères à l'égard d'Israël reste aussi une «inquiétude majeure en matière de politique étrangère».

«Sur ce point, ils ont envoyé quelques messages rassurants, mais pour le moment, cela reste très vague», pointe-t-il, tout en ajoutant que le mouvement égyptien était «proche du Hamas et hostile à Israël».

Évoquant les contacts avec les Frères musulmans, la porte-parole de la diplomatie américaine Victoria Nuland a assuré jeudi que Washington avait reçu de leur part des «garanties» quant au respect des droits de l'homme en Égypte et des obligations internationales du pays, une allusion au traité de paix avec Israël.

«Nous avons eu à ce sujet de bonnes garanties», a-t-elle déclaré, «et nous continuerons à chercher à en obtenir à l'avenir».