La France a évité un carnage, affirment des résidants de Benghazi. Sans l'intervention de l'aviation française, elle aurait été écrasée. Résultat: c'est le calme plat, ou presque, dans la deuxième ville de Libye.

Les premiers coups de canon ont retenti vers 4h samedi matin. Toute la ville tremblait. L'armée de Mouammar Kadhafi venait de donner l'assaut contre Benghazi.

Dès qu'il a entendu le bruit des explosions, Hussein Tawghri a attrapé sa kalachnikov, a rejoint quelques amis et s'est dirigé avec eux vers les banlieues de l'ouest de la ville.

«Les missiles volaient partout, il y avait des blindés et des camions remplis de soldats», raconte l'homme de 42 ans, dans la vraie vie directeur du stade de football de Benghazi.

Avec leurs fusils d'assaut trouvés quelques semaines plus tôt dans un dépôt d'armes abandonné par l'armée en retraite, Hussein Tawghri et ses amis ne faisaient pas le poids. Au même moment, les chars de Kadhafi avançaient aussi sur la grande avenue de Tripoli, près de l'université, à l'extrémité est de Benghazi.

Le fief des rebelles allait être pris en tenailles par les hommes du Guide de la révolution, qui avait juré de régler leur compte aux habitants de la ville.

«Nous étions effrayés, nous nous disions: c'est maintenant que ça se passe», raconte Hussein Tawghri, croisé hier dans un café, où une vingtaine d'hommes regardaient Al-Jazira en fumant la chicha. Quand nous lui avons demandé ce qui serait arrivé si l'aviation française n'avait pas pilonné les blindés de Kadhafi, il a fait mine de se trancher la gorge. Pour lui, il n'y a pas l'ombre d'un doute: la deuxième ville de Libye aurait vécu un carnage.

Pas étonnant que Nicolas Sarkozy soit le héros du jour à Benghazi. «Merci, Sarkozy», disent les habitants de la ville, qui ont l'impression d'avoir été sauvés in extremis par le président de la France. Des drapeaux français flottent çà et là aux côtés de l'ancien drapeau monarchique rouge, vert et noir, adopté par les insurgés.

Et Hussein Tawghri veut maintenant rebaptiser son stade de foot, qui porte le nom du président du Venezuela, Hugo Chavez. «J'aimerais qu'il s'appelle le stade Sarkozy», rêve son directeur.

Une ville en attente

Un immense panneau énumère les commandements que les leaders de la révolution libyenne adressent à leur peuple. «Si tu veux être libre, ne sabote pas les entreprises de l'État, rapporte tes armes au gouvernement provisoire...»

Le message antisabotage passe peut-être, mais sûrement pas celui sur les armes. Les hommes de Benghazi se sont largement servis à la base militaire qu'ont prise les insurgés. Ils sont nombreux à se promener avec une kalachnikov. De temps en temps, des gars en camionnette traversent la ville en tirant en l'air.

Exception faite de ces salves occasionnelles, la ville est calme. Les carcasses noircies des blindés touchés par les frappes alliées gisent à une vingtaine de kilomètres à l'ouest de Benghazi.

Quand la coalition a frappé, les habitants de la ville ont poussé un grand soupir de soulagement. Ils ont l'impression que Kadhafi ne peut pas revenir. Mais, en même temps, ils s'inquiètent pour leurs proches dans les villes où la guerre continue.

La famille de Hussein Tawghri vit à 40 km de Misrata, ville côtière où d'intenses combats se poursuivent depuis plusieurs jours. Pas moyen de les joindre au téléphone. «Je n'ai aucune idée de ce qui leur arrive.»

Deux frères de Rafa Maadi, le propriétaire du petit café où nous avons rencontré Hussein Tawghri, vivent à Tajura, près de Tripoli, la capitale. «Je ne sais pas s'ils sont morts ou vivants. Ma mère est avec moi, à Benghazi, et elle pleure tous les jours en attendant de leurs nouvelles.»

Le temps arrêté

Déchirée entre le soulagement et l'inquiétude, la grande ville de l'est de la Libye attend la chute de Kadhafi. Au centre-ville, la plupart des magasins gardent leurs volets clos. L'université est fermée, les écoles aussi. La police a déserté les rues.

C'est comme si le temps s'était arrêté, ici. Sauf sur la Corniche, devant le palais de justice, transformé en centre nerveux du gouvernement provisoire. Isha Aftaita, Canadienne d'origine libyenne venue étudier à l'université de Benghazi, passe ses journées ici, au centre média mis sur pied par le gouvernement des rebelles.

Elle vit en Libye depuis un an. Normalement, elle devait rentrer au Canada dimanche. Mais même si sa mère la supplie de revenir, il n'en est pas question. Elle veut contribuer à la révolte.

«Depuis que la ville a été libérée, on se sent plus légers, la pression est tombée, on peut dire tout ce qu'on pense», se réjouit l'étudiante de 23 ans, qui jure n'avoir jamais eu peur. Même pas samedi, quand Kadhafi a attaqué la ville.

En attendant que la situation se dénoue, Isha fait comme tous les autres habitants de Benghazi: elle essaie de suivre les nouvelles du front. Ce n'est pas évident. Un des deux réseaux de cellulaires du pays est tombé. L'autre est surchargé et ne fonctionne que de manière sporadique. Exception faite du centre des médias, il n'y a pas non plus de service internet à Benghazi.

Pour les grandes nouvelles, les gens sont accrochés à la télévision. Mais les villes où la guerre fait actuellement rage sont pratiquement coupées du monde. Ça laisse toute la place à la rumeur. Hier, un jeune homme nous a fait jouer sur son cellulaire une vidéo montrant un sac de têtes coupées et couvertes de sang. Selon lui, les milices de Kadhafi auraient placé ces têtes devant des maisons à Ajdabiya, pour faire peur aux gens. Des habitants de la ville auraient apporté ces têtes à l'hôpital. Vrai? Faux? Impossible de vérifier.

Selon une autre rumeur, des mercenaires africains auraient été trouvés en possession de condoms et de pilules de Viagra -ce qui est interprété comme une preuve de leur intention de sévir par le viol.

Les informations restent incertaines même pendant la conférence de presse officielle que donnent quotidiennement les représentants militaires des insurgés dans un hôtel rempli de journalistes.

Hier, le porte-parole Ahmad Omar Bani a expliqué que des négociations de reddition avaient cours avec une division de l'armée de Kadhafi encerclée par les rebelles, à l'entrée d'Ajdabiya. Que les insurgés avaient détruit 22 chars à Misrata. Et qu'ils avaient pris le port de cette ville. Vrai ou faux? Allez donc savoir...