Le leader libyen Mouammar Kadhafi a appelé vendredi ses partisans à prendre les armes contre les manifestants, alors que les Occidentaux adoptaient leurs premières mesures pour mettre un terme au bain de sang dans le pays, où des violences secouaient Tripoli.

Le nombre de morts se compte par milliers et non par centaines, a affirmé l'ambassadeur adjoint de la mission libyenne à l'ONU, Ibrahim Dabbashi. D'autres sources évoquent entre 300 et un millier de tués.

Critiqué à l'étranger, attaqué de toutes parts par une opposition armée qui contrôle désormais plusieurs villes, dont tout l'Est, M. Kadhafi a pris la parole pour la première fois en public devant une foule de plusieurs centaines de partisans dans le centre de Tripoli.

«Nous allons nous battre et nous les vaincrons», a-t-il lancé au 11e jour de l'insurrection partie de Benghazi, à 1000 km à l'est de Tripoli.

«S'il le faut, nous ouvrirons tous les dépôts d'armes pour armer tout le peuple», a-t-il menacé depuis des remparts surplombant la place Verte.

Le peuple libyen «aime Kadhafi», a-t-il affirmé, demandant à ses partisans de se préparer à «défendre la Libye».

Ses partisans, qui agitaient le drapeau vert de la Libye, brandissaient des portraits à son effigie et scandaient «Dieu, Mouammar, Libye et c'est tout».

Sur le plan diplomatique, les initiatives se multipliaient pour tenter d'infléchir sa politique de répression: réunion de l'ONU, propositions de sanctions et de mise en place d'une zone d'exclusion aérienne pour empêcher les avions militaires libyens de voler.

Le Conseil des droits de l'homme de l'ONU a réclamé dans une résolution la suspension de la Libye de ses rangs, ainsi qu'une enquête indépendante sur les violences.

L'Union européenne a déjà décidé de décréter un embargo sur les armes et le matériel de répression, ainsi que des gels d'avoirs et des interdictions de visas à l'encontre de Mouammar Kadhafi et ses proches.

Selon une source gouvernementale allemande, les sanctions pourraient entrer en vigueur «dès le début de la semaine prochaine».

Les États-Unis se dirigent de leur côté vers des sanctions multilatérales et unilatérales contre le régime libyen, a annoncé la Maison-Blanche, précisant que les services de renseignement américains étaient à la recherche de preuves de «violences» et «d'exactions» commises contre le peuple libyen par ce régime.

Sur le terrain, alors que la région orientale pétrolifère est aux mains de l'opposition armée qui met en place une nouvelle administration, à Tripoli, les forces pro-Kadhafi, déployées autour de mosquées pour empêcher les protestations, ont tiré sur des manifestants.

Dans l'est de la ville, au moins deux manifestants ont été tués par des pro-Kadhafi dans le quartier populaire de Fachloum, selon un témoin. Dans ce quartier, tout comme celui de Ben Achour, des témoins ont signalé des «tirs nourris sur tous ceux qui se trouvent dans la rue».

«Les forces de l'ordre ont ouvert le feu sur des manifestants sans distinction. Il y a des morts dans les rues de Soug Al-Jomaa», a indiqué un autre habitant.

Des centaines d'autres personnes manifestaient contre le régime à Tajoura. Des tirs nourris ont également été entendus à Ghout Achaal, dans l'ouest de la ville.

La télévision libyenne, citant des sources médicales, a néanmoins démenti des morts à Tripoli.

En raison de l'insécurité et faute de pouvoir assurer la sécurité de leurs diplomates, les Etats-Unis ont suspendu le fonctionnement de leur ambassade. Face au chaos, les évacuations des différents ressortissants étrangers continuaient dans des conditions difficiles.

Dans l'Est, à Tobrouk, un millier de personnes brandissant des drapeaux de la monarchie du roi Idriss Senoussi, devenu symbole de l'insurrection, ont manifesté, aux cris de «Libye libre, Kadhafi dehors».

Musratha, troisième ville du pays à 150 km à l'est de Tripoli, a été désertée par les loyalistes à M. Kadhafi, mais des combats ont eu lieu sur une base aérienne proche qui ont fait de nombreux morts, selon un habitant.

À 60 km à l'ouest de Tripoli, à Zawiyah, les combats entre opposants et partisans du régime ont fait «plus de 35 morts, peut-être même 50», a affirmé à l'AFP le porte-parole de la Ligue libyenne des droits de l'Homme.

C'est aux habitants de cette ville que s'était adressé jeudi M. Kadhafi. Il avait accusé Al-Qaïda d'orchestrer l'insurrection en donnant selon lui des «pilules hallucinogènes» aux opposants.

L'un des fils du leader libyen, Seïf al-Islam, qui devait s'exprimer à nouveau dans la soirée, a affirmé que sa famille resterait coûte que coûte en Libye, et a averti que le régime ne permettrait pas à une «poignée de terroristes» de contrôler une partie du pays.

Par ailleurs, la vie s'organisait dans les villes tombées aux mains des protestataires: un conseil municipal a ainsi été formé à Benghazi pour tenter de rétablir l'ordre, en réactivant les services publics. Mais dans cette ville, la situation était critique pour les blessés, selon Médecins sans Frontières.

À l'étranger, l'indignation montait contre le pouvoir libyen, de plus en plus isolé après avoir été lâché par ses pairs arabes et plusieurs proches et diplomates, dont les ambassadeurs libyens à Paris, Lisbonne, Genève et à l'Unesco, ainsi que Kadhaf al-Dam, proche conseiller et cousin de M. Kadhafi.

Paris et Londres ont proposé de leur côté au Conseil de sécurité de l'ONU un projet de résolution prévoyant «un embargo total sur les armes», «des sanctions» et une «saisine de la CPI (Cour pénale internationale) pour crime contre l'humanité».