Pour la première fois depuis le début de l'insurrection en Libye, Mouammar Kadhafi a lancé mercredi une contre-offensive sur l'est du pays, tenu par les rebelles. Toujours aussi entêté à conserver le pouvoir, le dictateur a prévenu qu'une intervention militaire occidentale se solderait par «une mer de sang». Pendant ce temps, la crise prend de l'ampleur à la frontière tunisienne.

Ils sont venus offrir leur soutien aux réfugiés massés à la frontière tunisienne. Mais c'est surtout leur leader, Mouammar Kadhafi, qu'ils soutiennent, à coups de slogans, de drapeaux verts et de témoignages louangeurs à l'endroit du dictateur aux abois.

Juchés à l'arrière de camionnettes, ils distribuent des biscuits et des jus de fruits aux travailleurs étrangers qui tentent désespérément de fuir leur pays. À les entendre, pourtant, il n'y a pas de quoi avoir peur. «Tout va bien. Le peuple entier aime Kadhafi. Il n'y a aucune violence, aucun combat», assure Ataher Issa, un membre du régime.

Nous sommes dans la zone neutre qui sépare les postes douaniers tunisien et libyen. Le sol est jonché de détritus, de couvertures, de téléviseurs et de valises éventrées, reliquats de la fuite éperdue de dizaines de milliers de travailleurs étrangers en Libye.

«Nous étions scandalisés par les conditions des migrants retenus ici, alors nous sommes venus leur offrir notre aide», dit Imad, jeune pro-Kadhafi. «Ce sont leurs familles qui les ont poussés à partir parce qu'elles avaient peur de ce qu'elles voyaient à la télé. Pourtant, tout est normal en Libye. Comme avant.»

Un opposant au régime rencontré au poste-frontière nous glisse à l'oreille: «Ne les écoutez pas. C'est de la propagande. Ils sont payés pour vous dire ça.»

Bombardements dans l'Est

En effet, la réalité est tout autre. Pour la première fois depuis le début de l'insurrection, le colonel Kadhafi a lancé hier une contre-offensive en règle sur des villes de l'Est tenues par les rebelles. Des combats ont aussi fait rage dans des villes proches de Tripoli, où le dictateur tente de créer une zone tampon autour de ce qui demeure le siège de son pouvoir.

Soutenues par des blindés et par de l'artillerie lourde, les forces libyennes ont lancé une attaque sur Brega, ville pétrolière à mi-chemin entre Tripoli et Benghazi, le siège des insurgés. Après une journée de combats intenses, les rebelles ont réussi à reprendre la ville et ses raffineries. Au moins 14 personnes auraient perdu la vie dans les combats.

Plus au nord, dans la ville d'Ajdabiya, les forces libyennes ont bombardé un dépôt d'armes. Ces raids aériens n'ont pas fait de victime.

Pendant ce temps, à Tripoli, le dictateur était acclamé par une foule de partisans venus célébrer le 34e anniversaire de la création de «l'État des masses». Dans un discours de plus de deux heures et demie, le colonel Kadhafi a semblé, une fois de plus, complètement déconnecté de la réalité. Il s'est dit «surpris» que son nom soit évoqué à l'étranger puisqu'il a cédé le pouvoir au peuple en 1977.

Comme ses partisans à la frontière, il a affirmé qu'il n'y avait «pas de manifestations» en Libye... tout en prévenant qu'il combattrait «jusqu'au dernier homme, jusqu'à la dernière femme» pour sauver son régime.

Au moins 1000 personnes ont déjà été tuées dans les violences, selon le secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon. L'ONU a suspendu la Libye du Conseil des droits de l'homme. De son côté, le procureur de la Cour pénale internationale a ouvert une enquête sur les crimes contre l'humanité perpétrés au pays.

L'option d'une intervention militaire

Par ailleurs, deux navires de guerre américains ont atteint hier la Méditerranée après avoir franchi le canal de Suez. La Maison-Blanche a affirmé que les navires étaient redéployés près de la Libye afin de répondre aux besoins humanitaires, tout en soulignant qu'elle «n'écartait aucune option».

À Benghazi, les rebelles ont réclamé des frappes aériennes de l'ONU sur les fiefs des mercenaires africains recrutés par Kadhafi pour écraser la révolte de son propre peuple. Les rebelles refusent toutefois avec véhémence la présence de toute force étrangère en sol libyen. «Il y a une grande différence entre cela et des frappes aériennes stratégiques», a dit Hazif Ghoga, porte-parole des insurgés.

L'option d'une intervention militaire est d'ailleurs loin de faire l'unanimité à l'OTAN, dont plusieurs membres craignent la réaction du monde arabe.

Le colonel Kadhafi a prévenu qu'une intervention des Occidentaux provoquerait des milliers de morts dans son pays: «Nous ne pouvons pas permettre aux Américains ou à l'Occident d'intervenir en Libye, a-t-il dit. S'ils le font, ils doivent savoir qu'ils se jettent dans un enfer et une mer de sang pire que l'Irak ou l'Afghanistan (...). Nous distribuerons les armes par millions et ce sera un nouveau Vietnam.»