Au coeur de la marée humaine qui se presse à la frontière de la Tunisie, un homme agite un bout de carton sur lequel il a écrit: «HELP!»

Le désespoir résumé en quatre lettres.

Le chaos se poursuit au poste-frontière de Ras Jdir. Plus de 80 000 migrants ont emprunté ce passage depuis le début des violences en Libye. Des milliers d'autres sont refoulés aux portes de la Tunisie, qui peine à accueillir cet afflux massif de réfugiés. Ils attendent depuis des jours. Ils dorment sur le sol, par un temps glacial.

La crise empire de jour en jour. «La situation a atteint un point critique», a prévenu le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). L'organisme estime que, côté libyen, 40 000 migrants attendent désespérément de pouvoir franchir la frontière. La foule s'étend sur «des kilomètres et des kilomètres».

Côté tunisien, les autorités comme les organisations humanitaires admettent qu'elles sont dépassées par le flot de réfugiés. «Les besoins sont beaucoup, beaucoup plus grands que ce qui est fourni», a dit un porte-parole du HRC dans un appel à l'aide des pays occidentaux.

Un camp pour 10 000 réfugiés

L'ONU et l'armée tunisienne ont monté dans le désert un camp qui peut accueillir 10 000 réfugiés, mais c'est loin d'être suffisant. Les travailleurs égyptiens, mais aussi bangladais, ghanéens, philippins et autres sont forcés de camper dans le stationnement du poste-frontière, le long des routes, dans le désert. Ils sont littéralement partout.

Des tonnes de déchets s'empilent dans tous les coins. Des queues énormes se forment devant les tentes des organismes qui fournissent de l'eau et de la nourriture. À tout moment, des Égyptiens s'attroupent pour crier leur colère vis-à-vis de l'inaction du Caire, qui tarde à les rapatrier. Et pour remercier la Tunisie de son accueil.

Plusieurs pays européens ont annoncé hier qu'ils organiseraient des ponts aériens afin d'évacuer les réfugiés retenus en Tunisie. Le Caire a aussi envoyé des navires de guerre au port de Zarzis afin de rapatrier ses ressortissants.

Lors de notre passage, mercredi, l'armée tunisienne semblait avoir quelque peu repris les choses en main au poste-frontière. Fourbus, chargés d'énormes valises sur leurs épaules, les réfugiés franchissaient dans le calme la barrière bleue qui sépare les deux pays.

La veille, la situation était chaotique. Les hommes qui se trouvaient à l'avant de la foule étaient écrasés contre la barrière. Plusieurs s'évanouissaient, d'autres avaient du mal à respirer. On les évacuait tant bien que mal sur des civières que l'on passait au-dessus des têtes.

Ceux qui tentaient d'escalader le mur étaient accueillis à coups de bâton par de jeunes Tunisiens qui s'étaient improvisés garde-frontières. L'armée a fini par intervenir et par chasser les jeunes en tirant des coups de feu en l'air.

La crise provoque d'énormes tensions dans cette région pauvre, aux prises avec ses propres problèmes d'exode. Dans les dernières semaines, plus de 5000 jeunes Tunisiens ont pris des bateaux clandestins pour l'Europe. Hier matin encore, un bateau a quitté la plage de Zarzis avec 350 jeunes à son bord.

Hamdi Henchiri enrage en observant le flot continu de travailleurs égyptiens qui se déverse dans son pays et dans sa ville, Ben Guerdane. «Il faut trouver une solution pour ces gens. Il n'y a plus de pain dans la ville. L'Union européenne se met dans tous ses états quand 5000 Tunisiens débarquent en Europe. Nous, nous ouvrons la porte à 12 000 personnes par jour. Nous sommes en révolution, nous devons penser à nous!»