Rebelle des premières heures, Marwan a combattu les forces du colonel Kadhafi sur le front de l'Est en Libye avant de disparaître. Il est réapparu quelques semaines plus tard sur la chaîne publique libyenne où il clamait, depuis Tripoli, son soutien au dirigeant Kadhafi.

L'histoire de ce Libyen de 25 ans, étudiant en mécanique à Benghazi, est le cauchemar de toutes les familles de l'Est libyen soutenant la rébellion: voir son fils utilisé par la propagande du régime du colonel Mouammar Kadhafi, imaginer son «calvaire» dans une prison de Tripoli.

«J'aurais préféré qu'il soit tué sur le front que de le voir aux mains des hommes de Kadhafi», dit sa mère, Zainab, d'une voix douce et égale, dans le salon de la maison familiale d'un quartier excentré de Benghazi.

Pendant plusieurs semaines, la famille l'a cru mort, disparu au front, comme des centaines d'autres rebelles, d'Ajdabiya à Misrata. Jusqu'à un soir, quand son visage est apparu à la télévision d'État où il a débité son discours d'allégeance au colonel Kadhafi.

«Le voir vivant n'a pas été un soulagement (...) Marwan est prisonnier de Tripoli. Il est sûrement très mal traité, torturé. Vous ne pouvez pas imaginer de quoi sont capables ces gens-là...», dit son grand frère, Ahmed.

Benghazi, ville de mille rumeurs: disparus vus sur le front, rebelles faits prisonniers par les forces loyalistes et envoyés de force en première ligne pour affronter leurs anciens compagnons d'armes. La plupart sont invérifiables, vraies ou fausses, puisant leur récit au coeur de l'imagination débridée d'une ville qui vit depuis trois mois au rythme de la rébellion.

Celle de Marwan est différente. La vidéo existe. Sa famille, ses amis, ses voisins l'ont authentifiée. Et personne n'imagine une seconde qu'un enfant de Benghazi, lancé dès le 20 février dans l'insurrection contre le régime, puis sur la ligne de front, ait pu d'un coup passer à l'ennemi.

Sur la vidéo, que la famille a regardée en boucle pendant des semaines, Marwan apparaît barbu, exalté, criant haut et fort son attachement au leader libyen. La caméra se déplace de lui vers un autre jeune. Tous répètent la même chose: «nous sommes avec Kadhafi et contre l'OTAN!

Derrière eux, d'autres jeunes crient de temps en temps des slogans incompréhensibles. La scène semble avoir été tournée en plein air.

Ahmed, son frère, montre deux photos prises en 2007 et 2008. L'adolescent devient un homme, ses cheveux raccourcissent. C'est là le Marwan qu'ils connaissent. L'une des photos est barrée d'un «My heart will always follow you», marque de fabrique du studio qui a fait le cliché.

Marwan a commencé à se battre dès le 20 février, quand la «katiba» de Benghazi, une caserne de l'armée devenue symbole du régime, a été le théâtre de combats violents entre soldats et ceux qui n'étaient que des opposants, pas encore des rebelles.

«Il m'a dit que les troupes de Kadhafi iraient partout, violeraient les femmes, qu'il ne pouvait pas tolérer cela et qu'il fallait que je le laisse combattre», raconte sa mère.

Comme beaucoup d'autres rebelles, Marwan est ensuite monté au front. De Benghazi à Ajdabiya. Puis vers Brega, son port pétrolier, entre mer et désert.

Il donne parfois de nouvelles, dort au front. «Fin mars ou début avril, il a dû se faire attraper par les soldats entre Ajdabiya et Brega. Personne ne sait», dit Ahmed.

Après l'avoir vu à la télévision, la famille s'est rendue au Croissant rouge et à la Croix rouge qui gèrent plus de 1200 dossiers de disparus à Benghazi et à Misrata, mais qui n'ont pas encore accès aux lieux de détention à Tripoli.

La famille se raccroche, sans trop y croire, à l'appel du frère d'un jeune Libyen qui serait détenu avec Marwan.

«Il m'a donné une drôle d'impression, comme s'il n'était pas tout seul quand il me parlait au téléphone. Selon lui, Marwan est dans la prison d'Abou Slim. Tout est très bizarre. Je ne fais pas confiance à cet homme, mais ne sais plus quoi penser», dit Ahmed.