À l'issue de batailles sanglantes qui ont coûté cher aux partisans de Mouammar Kadhafi, les rebelles ont réussi vendredi à prendre le quartier d'Abou Salim, qui jouxte le quartier général du dictateur en fuite.

À l'hôpital, isolé du reste de la ville pendant plusieurs jours en raison de l'intensité des combats, c'était l'horreur, hier.

À l'arrivée de La Presse, des volontaires évacuaient des dizaines et des dizaines de cadavres apparemment abandonnés depuis plusieurs jours.

Munis de masques pour contrer l'odeur de putréfaction, ils faisaient tomber des civières les corps couverts de mouches sur de grandes feuilles de plastique posées au sol. Ils les recouvraient de chaux avant de les envelopper et de les empiler sur des camions.

Les civières souillées étaient ensuite lâchées et roulaient sinistrement jusqu'au pied de la pente qui mène à l'entrée de l'hôpital. Plus d'une quarantaine s'empilaient dans la cour en fin d'après-midi.

Dans les corridors, quelques femmes nettoyaient les planchers ensanglantés et vaporisaient des produits désodorisants.

L'une des pièces contenait plus d'une dizaine de cadavres ballonnés et noircis. Le sol était couvert d'excréments et de grandes flaques de sang qui grouillaient d'asticots.

Devant un pavillon adjacent, une vingtaine de cadavres étaient empilés pêle-mêle, à l'air libre. Selon un résidant du quartier, ce traitement se justifie par le fait qu'il s'agit de mercenaires du régime venus d'Afrique noire - une affirmation invérifiable. «Ils ne ramassent pas les cadavres parce qu'ils se décomposent lorsqu'ils tentent de les prendre», a-t-il expliqué.

Exécutions massives

La découverte de tous ces corps survient alors que les deux camps sont soupçonnés d'avoir procédé à des exécutions massives. Il a été impossible, hier, de savoir exactement ce qui s'est passé dans cet hôpital. Selon un employé administratif, le personnel a cessé de se présenter en raison de l'intensité des combats. Un voisin a indiqué pour sa part que l'électricité était coupée depuis deux jours, ce qui a rendu le travail impossible.

Un combattant de Misrata venu dans l'espoir de retrouver un de ses frères, disparu dans la bataille de Tripoli, a dit que les kadhafistes avaient abandonné leurs soldats blessés à l'entrée de l'hôpital ou les avaient laissés pourrir dans la rue.

La plupart des personnes présentes ont indiqué que la quasi-totalité des dépouilles étaient celles de partisans de Mouammar Kadhafi, mais même cette affirmation était difficile à vérifier en raison de leur état.

«Tous ces morts, c'est une honte pour Kadhafi. Je vous en supplie, je vous en supplie, partez. Nous ne voulons plus la guerre, nous voulons la sécurité», a lancé un volontaire dégoûté.

Des tirs provenant du zoo, non loin de l'hôpital, continuaient de résonner à intervalles réguliers dans le quartier, qu'on dirait dévasté par une tornade. Des carcasses de voitures calcinées bloquent le passage ici et là. Des éclats de verre, des arbres abattus, de vieux téléviseurs explosés jonchent le sol. Les murs sont couverts de graffitis hostiles au régime.

Les rebelles fouillaient nerveusement les voitures. À une intersection, le ton a monté à la suite de l'arrestation d'un voleur. Un homme est arrivé à toute vitesse en brandissant une arme de poing.

Malgré la tension, la plupart des hommes armés accueillent les journalistes étrangers avec de grands cris de bienvenue.

L'un d'eux, en apprenant la présence d'un Canadien, a lancé avec enthousiasme: «On adore Bryan Adams!»

«On espère vous revoir lorsque ce sera un peu plus joli», a lancé l'homme en agitant sa mitraillette pour permettre le passage.