Un charnier vient d'être découvert à Tripoli. Des prisonniers froidement exécutés par les forces loyales au dictateur Mouammar Kadhafi, qui semble toujours en fuite. Le désordre règne dans la capitale libyenne, où se trouve notre envoyé spécial, Marc Thibodeau.

Les forces rebelles qui s'efforcent de prendre le contrôle des derniers recoins de la capitale libyenne ont découvert vendredi soir les corps carbonisés de dizaines de prisonniers à proximité d'un camp militaire situé dans le sud-est de la ville.

Selon des témoins rencontrés sur place, les victimes ont été froidement exécutées par les troupes kadhafistes à l'aide de mitraillettes et de grenades avant d'être brûlées dans un petit bâtiment métallique à la façade encore fumante.

«On a tenté à plusieurs reprises de venir après avoir entendu mardi soir des coups de feu et des explosions, mais c'est la première fois (vendredi matin) que nous entrons ici», a expliqué un résidant du secteur, Salem Rajab.

Mardi soir, ce médecin a emmené d'urgence à l'hôpital central de Tripoli quelques victimes de la tuerie qui ont réussi à prendre la fuite alors que les soldats rechargeaient leurs armes.

«Ce qui s'est passé ici est un véritable massacre. Dites-le, il faut le dire», s'est emporté le médecin en montrant les lieux du drame.

Dans le bâtiment en question, situé dans le coin d'un terrain entouré de murs haut de quelques mètres, à un jet de pierre de la base militaire, La Presse a pu compter au moins une trentaine de squelettes au sol. Une puissante et nauséabonde odeur se dégageait de l'ensemble, forçant les personnes présentes à se boucher le nez avec des foulards ou des masques chirurgicaux.

Des véhicules apparemment utilisés pour transporter les prisonniers étaient abandonnés un peu partout. Dans un recoin, la terre était retournée à plusieurs endroits par des pelleteuses laissées sur place.

«Nous pensons qu'une certaine partie des corps ont peut-être été ensevelis à cet endroit. Nous allons déterrer pour voir si c'est le cas», a expliqué M. Rajab.

Un homme se présentant comme un survivant du drame, Mustafa Aterii, a indiqué que des mercenaires avaient ouvert le feu sur les prisonniers sur ordre d'officiers libyens avant de lancer des grenades. Selon lui, il y avait au moins 150 prisonniers à cet endroit.

Il affirme n'avoir survécu que parce que les corps des autres l'ont protégé des tirs jusqu'à ce qu'il réussisse à prendre la fuite. D'autres personnes ont été abattues en pleine course. Au moins trois corps étaient visibles vendredi dans une artère adjacente à la cour principale.

Les corps boursouflés de trois soldats kadhafistes étaient abandonnés près de l'entrée. L'un d'eux avait les pieds attachés par une corde, suggérant une exécution. «Ils ont été tués parce qu'ils ont refusé d'abattre les prisonniers», a indiqué M. Aterii.

Le sordide spectacle offert par les squelettes fumants rendait furieux les Libyens rencontrés sur place.

«Kadhafi est un bâtard», a lancé l'un d'eux en filmant la scène avec son téléphone. «Il faut le tuer», a lancé un autre homme en passant son doigt sur son cou.

Mohamed Ali avait d'autres préoccupations. Venu dans l'espoir de retrouver un beau-frère disparu quelques mois plus tôt, il s'est effondré en apercevant sa voiture abandonnée dans la cour. «C'est son véhicule, c'est son véhicule», a-t-il expliqué en pleurant, tombant presque à genoux de douleur.

En milieu d'après-midi vendredi, des hommes commençaient à placer une partie des squelettes dans des cercueils improvisés sans faire attention à la nécessité de préserver des preuves pour d'éventuels enquêteurs.

«Ils sont pressés d'enterrer les corps comme le veut la tradition musulmane. Il faut que vous preniez toutes les photos possibles pour que l'on puisse prouver ce qui s'est passé», a indiqué M. Rajab en s'adressant aux quelques journalistes étrangers présents.

Les exactions apparemment perpétrées par les soldats à proximité de la base militaire ont été dénoncées mercredi par Amnistie internationale, qui a colligé des témoignages de victimes amenées à l'hôpital central de Tripoli sans pouvoir se rendre sur les lieux du drame. Ils affirment qu'une vingtaine de personnes auraient réussi à s'échapper.

Selon l'organisation de défense des droits de l'homme, des soldats d'une autre caserne militaire située quelques kilomètres plus loin ont aussi exécuté sommairement cinq opposants en détention solitaire avant de prendre la fuite.

Ces exactions risquent de venir étoffer le dossier élaboré par la Cour internationale de La Haye contre le dictateur en fuite, la torture et l'exécution de prisonniers constituant un crime de guerre en vertu du droit international.

«Alors même que le colonel Kadhafi est mis au pied du mur par un mandat international pour crimes contre l'humanité, ses troupes continuent à montrer leur manque de respect évident pour la vie humaine», affirme Amnistie internationale.