L'heure est à l'ultimatum. Les rebelles ont exhorté hier pour la dernière fois les partisans armés de Mouammar Kadhafi à se rendre. Faute de quoi, «le lancement de la bataille finale est imminent». Déjà, sur le terrain, ils font preuve d'hostilité à l'égard des anciens partisans du tyran déchu, rapporte notre correspondant, qui n'a vu aucun signe d'apaisement.

La capitale libyenne, passée presque entièrement sous le contrôle de la rébellion, semble vouloir célébrer en continu la chute du régime. Et malheur à celui qui ne se sent pas le coeur à la fête.

Wafah, une jeune mère qui travaille dans le secteur hôtelier, en a fait l'expérience peu après la prise de la ville par les rebelles.

Plutôt que de faire le V de la victoire avec ses doigts et de répéter «Dieu est grand» à un point de contrôle, comme le font nombre de ses concitoyens, elle a serré les dents, au grand dam d'un combattant armé qui l'a immédiatement sommée de garer son véhicule.

«Il a tout fouillé et m'a rendu la vie impossible. Aujourd'hui, on ne peut pas dire ce qu'on pense», souligne cette mère de famille qui s'attriste, à mots couverts, de la chute du régime kadhafiste.

«Ce fut notre chef pendant 42 ans», dit avec émotion la jeune femme, qui rechigne à marcher sur les images du dictateur en fuite que les partisans des rebelles ont placées au sol dans l'entrée de plusieurs bâtiments.

Ciblée par les rebelles

Sous la houlette de Mouammar Kadhafi, le pays était stable et la sécurité n'était pas un enjeu, souligne Wafah, qui a failli se faire tuer lors de l'entrée des rebelles dans la ville, le 20 août.

Pour observer leur progression vers l'hôtel où elle se trouvait, elle a lentement ouvert une porte du 11e étage menant à un escalier extérieur. «Lorsque je l'ai refermée, une balle est passée à travers la porte et m'a rasée avant d'aller se ficher au plafond. Les rebelles ont pensé que j'étais un tireur embusqué», relate la sympathisante kadhafiste, qui n'aime guère le rôle joué par l'OTAN dans le conflit.

«Les rebelles auraient dû pouvoir obtenir le pouvoir sans aide extérieure s'ils le méritaient», souligne Wafah, qui reproche aux avions de la coalition d'avoir blessé son frère.

«Notre maison est près d'une caserne militaire qui a été ciblée par les bombardements. Mon frère a reçu des débris projetés par une explosion et a été grièvement blessé à la jambe. Il a dû passer dix jours à l'hôpital», relate-t-elle.

Hostilité des rebelles

Comme la jeune femme, qui se confie au détour d'un corridor dans une conversation à la sauvette, la plupart des partisans déchus de Mouammar Kadhafi se font discrets pour ne pas risquer d'ennuis avec les rebelles.

L'hostilité demeure probante chez plusieurs combattants, qui voient d'un très mauvais oeil toute référence positive à l'ancien régime.

Plusieurs kadhafistes ont changé d'allégeance par opportunisme plutôt que par conviction au dernier moment possible, accusait ainsi il y a quelques jours un jeune combattant, Khaled.

«Regardez tous ces caméléons, je les hais dans mon sang», a-t-il déclaré en visitant le quartier d'Abou Salim, longtemps considéré comme un bastion kadhafiste.

La traque inachevée du dictateur et la résistance offerte dans certaines villes par les partisans de Mouammar Kahdafi ne facilitent pas l'apaisement.

Lors d'une visite de La Presse de l'avant-poste des rebelles sur l'autoroute menant à la ville de Syrte lundi, des familles réparties dans trois voitures poireautaient au pied d'une dune de sable.

Les rebelles présents ont refusé que les journalistes posent des questions aux occupants des voitures et le ton a rapidement monté lorsque la demande a été répétée, suggérant qu'ils craignaient des réponses embarrassantes.

«Ils ont peur que ce soient des espions qui veulent aller s'installer à Misrata pour le compte de Kadhafi», a finalement expliqué un jeune combattant.

Certains prisonniers kadhafistes interviewés cette semaine dans une prison improvisée à Tripoli ont déclaré dans les médias qu'ils avaient été malmenés par des combattants rebelles.

Les risques de dérive préoccupent la direction du Conseil national de transition, qui a demandé la semaine dernière aux rebelles de ne pas chercher à se venger des sympathisants kadhafistes. «Les pillages et les violences seraient une honte pour notre révolution», a prévenu le chef de l'exécutif rebelle, Mahmoud Jibril.