Abou Khaled, un comptable de 28 ans, nous attend à la sortie de l'école qui sert de refuge à une centaine d'exilés syriens dans la région de Wadi Khaled, dans le nord du Liban.

Il nous demande de le conduire au centre du village. Mais en fait, il a surtout un immense besoin de parler.

D'une voix saccadée, il nous raconte sa nuit de noces, passée à ramper sur le plancher de son appartement de Tal Kalakh, où l'armée syrienne est entrée le 14 mai après deux mois de protestations contre le régime de Bachar al-Assad.

Rapidement, la vie est devenue impossible pour le jeune couple.

«Vous êtes assis tranquillement chez vous et tout à coup, boum, boum, boum. Tout se met à trembler.»

Il y a trois semaines, Khaled et sa femme, enceinte de sept mois, se sont résolus à traverser la frontière pour se rendre au Liban.

Ils sont en sécurité, mais leur vie n'est pas simple. Le gouvernement libanais ne reconnaît pas le statut de réfugié - le mot qui fait peur dans ce pays dont le fragile équilibre démographique avait été bousculé par l'afflux massif de réfugiés palestiniens, il y a 60 ans.

Quelque 6 000 «déplacés» syriens ont été recensés à Wadi Khaled.

Le Liban les confine à une zone militarisée, qu'ils n'ont pas le droit de quitter. Ils n'ont pas, non plus, le droit de travailler. «C'est un peu comme une prison, ici», dit Abou Khaled.

Ailleurs au Liban, à Tripoli ou à Beyrouth, les exilés syriens se cachent, de peur de tomber sur des agents pro-Damas. Ils forment une masse de réfugiés invisibles.

Mustafa, le père de Hothaifa (voir autre texte), travaillait comme avocat en Syrie. Il nous explique qu'il avançait l'argent pour payer les pots-de-vin des juges, pour ses clients. Et se faisait rembourser quand la cause était réglée...

Mais toutes ces affaires sont restées en plan et il n'a plus un sou. Incapable de travailler, il passe son temps à boire des cafés. Et à se demander quand il pourra reprendre le fil de sa vie.

Au début, Mustafa croyait que Bachar al-Assad n'en avait que pour quelques mois. Aujourd'hui, il est plus pessimiste: «S'il n'y a pas de décision pour armer l'Armée syrienne libre, ça va être beaucoup plus long.» Mustafa n'a pas fini de boire des cafés à Wadi Khaled.