Le conflit en Syrie ne déchire pas seulement un pays, mais toute une communauté dispersée partout dans le monde. Le 17 mars, une manifestation pro-régime a dégénéré à Montréal quand cinq adolescents pro-rebelles ont été pris à partie par une foule en colère. Récit.

Mohamad* se doutait bien qu'il n'allait pas se faire de nouveaux amis en brandissant le drapeau des rebelles syriens près d'une manifestation en soutien au régime Assad. Mais il ne pensait pas que ça allait valoir à ses quatre amis et à lui d'être frappés par une foule en colère. Pas en plein jour, dans un parc du nord de Montréal, un samedi de mars.

Le 17 mars dernier, en fin d'après-midi, Mohamad, 16 ans, et ses amis Hicham, Younes, René Omar et Walid, 17 ans, sortaient de l'autobus à l'angle des boulevards de l'Acadie et Henri-Bourassa. Ils rentraient chez eux après avoir participé à une manifestation en soutien aux rebelles syriens, au centre-ville de Montréal.

Dans le parc Marcelin-Wilson, à côté duquel se trouve l'arrêt d'autobus, une manifestation en soutien au président Bachar al-Assad rassemblait quelques centaines de personnes. En sortant de l'autobus, les cinq amis se sont retrouvés dans l'abribus, et c'est à ce moment que Mohamad a sorti son foulard aux couleurs de la rébellion syrienne.

Bientôt, un attroupement s'est formé autour de l'abribus. «Les gens criaient, frappaient sur les vitres», raconte Hicham, rencontré avec ses amis hier matin sur les lieux de l'agression. Des manifestants ont bloqué l'entrée de l'abribus pour empêcher la foule en colère d'entrer. «Un homme nous a dit de sortir, qu'il n'allait rien nous arriver. Mais on ne voulait pas sortir», raconte Hicham, qui dit avoir eu peur. Un autre homme, qui s'était faufilé dans l'abribus, a donné une «claque» à Mohamad, décrit Younes, qui a enjoint à son ami de ne pas répliquer. «L'homme avait l'âge de mon grand-père. J'avais honte pour lui.»

L'affrontement a été filmé par des gens qui assistaient à la manifestation. Les images ont été brièvement mises en ligne sur YouTube, avant d'être retirées. Mais elles avaient été récupérées par le Conseil syro-canadien, en soutien aux rebelles syriens, qui les ont distribuées aux médias. Selon Faisal Alazem, du Conseil, les images ont été retirées lorsque leurs auteurs ont compris que les victimes avaient porté plainte à la police.

Les images montrent un attroupement de plusieurs dizaines de personnes autour de l'abribus, dont plusieurs crient, frappent les vitres. À l'intérieur, les cinq adolescents regardent la foule d'un oeil inquiet. D'autres images montrent une empoignade dans l'abribus entre les adolescents et des manifestants. C'est au cours de cette empoignade que Walid a été blessé au dos par un «objet coupant». L'adolescent a reçu 18 points de suture.

Les cinq adolescents ont été secourus de l'abribus quand des voitures du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) sont arrivées. «Au début, on ne voulait pas appeler la police, on pensait que ça allait se calmer, dit Younes. Mais quand j'ai vu mon ami blessé...» Les policiers ont dispersé la foule, ont emmené Walid à l'hôpital et les quatre autres adolescents au poste pour prendre leur déposition. Le SPVM confirme avoir ouvert une enquête.

Liberté et démocratie

Les adolescents disent avoir reconnu certains manifestants, membres comme eux de la communauté arabo-maghrébine montréalaise. Les cinq adolescents sont nés à Montréal - Mohamad et Hicham sont d'origine syrienne, René Omar est d'origine libanaise, Walid est d'origine algérienne et Younes est d'origine marocaine. «On a participé à toutes les manifestations pour la Libye, la Palestine, la Tunisie», dit Hicham.

«Il y a des gens qui meurent en Syrie. Pourquoi je n'aurais pas le droit d'aller dans une manifestation? Parce que je suis marocain? lance Younes. Si on nous frappe ici, à Montréal, vous vous imaginez ce qu'ils font en Syrie?»

Faisal Alazem, l'un des organisateurs de la manifestation en soutien aux rebelles, dit que des manifestants pro-régime viennent aussi y brandir leurs drapeaux devant les opposants. Il souhaite que la justice s'en mêle pour en faire un exemple. «On est au Canada, on a traversé des milliers de kilomètres pour s'exprimer librement», dit-il. Il rappelle qu'Amnistie internationale, dans un rapport publié l'automne dernier, a révélé que plusieurs militants qui ont participé à des manifestations d'opposition au régime de Bachar al-Assad en Europe ou en Amérique ont été victimes d'intimidation.

Malgré la tournure des événements, Mohamad n'a pas l'intention de ranger son drapeau. «Ce drapeau représente l'indépendance, la liberté et la dignité pour mon pays. C'est ce que le peuple désire avoir.»

* À la demande des adolescents, leurs noms de famille sont gardés confidentiels.