Après avoir fait la révolution, les Tunisiens se préparent maintenant pour les premières élections démocratiques. Un pas historique à franchir, mais qui ne manque pas d'inquiéter même les franges les plus progressistes de la société, dont la militante féministe Faïza Skandrani, que notre journaliste a rencontrée lors de son passage à Montréal.

Alors que des milliers de jeunes Tunisiens menaient un dur combat de rue pour faire tomber le régime de Zine al-Abidine Ben Ali l'hiver dernier, Faïza Skandrani, habituée des luttes de la société civile, menait sa propre guerre à elle: venir à bout d'un cancer.

De nouveau en santé, l'éditrice, enseignante et militante féministe est vite retournée dans l'arène publique. Le combat pour une démocratie moderne, note-t-elle, dans la Tunisie post-révolution, est loin d'être terminé.

En fait, à deux mois des premières élections libres, qui permettront à la Tunisie de se doter d'une assemblée constituante, les enjeux sont immenses. Les 218 personnes élues auront la responsabilité d'écrire la constitution du pays. Une tâche déterminante pour l'avenir du pays du Maghreb.

Le premier combat de Mme Skandrani et de nombre d'organisations féministes avec qui elle a fait front commun a été de s'assurer que les femmes auraient voix au chapitre lors des élections. «En ce moment, dans les hautes instances qui déterminent les règles des élections, il n'y a que 33 femmes sur un groupe de 171 personnes», note Mme Skandrani, qui était de passage à Montréal cette semaine à l'invitation de l'organisation Alternatives.

Fortes de ce constat, les féministes se sont battues pour obtenir la parité homme-femme. Le lobbying et les manifestations du groupe mis sur pied par Mme Skandrani, Égalité et parité, ont porté leurs fruits. Aux élections du 23 octobre, les 100 partis qui brigueront les suffrages devront présenter des listes de candidats sur lesquelles apparaîtront, en alternance, autant de femmes que d'hommes. «C'est une loi révolutionnaire», s'enthousiasme Mme Skandrani, en rappelant que la Tunisie, qui a accordé le droit de vote aux femmes en 1957, a toujours été avant- gardiste en matière de droits des femmes dans le grand monde musulman.

Manque d'ardeur

La féministe tunisienne remarque cependant que la loi ne sera pas un coup de baguette magique. Pour qu'elles prennent leur place en politique, les femmes doivent se porter candidates. «On est à 15 jours du dépôt des candidatures et j'ignore toujours qui a accepté d'être candidate pour quel parti, se désole-t-elle. Je ne pensais pas que les femmes seraient aussi timides. Si nous perdons, ce sera la faute des femmes.»

Ce manque d'ardeur politique féminin a d'ailleurs été détecté dans toute la Tunisie. Seulement 55% des électeurs éligibles, soit 3,8 millions de Tunisiens, se sont inscrits sur les listes électorales au cours des derniers mois.

Cette situation avantagera-t-elle les partis islamistes, qui, après avoir été bannis du jeu politique tunisien, font un retour remarqué? Faïza Skandrani craint que ce soit le cas. Les partis islamistes, qui ont soutenu la loi sur la parité, ont vite fait de recruter des femmes dans leurs rangs et sont fin prêts pour les élections. Les féministes espèrent maintenant que les femmes progressistes se manifesteront en aussi grand nombre. «J'ai décidé de me battre contre les islamistes, comme je me suis battu contre mon cancer. S'ils remportent la majorité aux élections, on refera une autre révolution», promet Faïza Skandrani.