Deux jeunes de Mahdia, une ville côtière tunisienne, ont été condamnés à sept ans et demi de prison pour avoir publié sur Facebook des caricatures de Mahomet, une peine sans précédent dans les affaires d'atteinte à la morale et au sacré qui se multiplient en Tunisie.

L'un des condamnés est en cavale, réfugié en Europe, l'autre est en prison: Ghazi Béji et Jabeur Mejri, deux trentenaires, diplômés chômeurs, ont été condamnés le 28 mars par le tribunal de Mahdia à sept ans et demi de prison pour atteinte à la morale, diffamation et trouble à l'ordre public.

Selon le site Tunisia-Live, qui a publié un extrait du jugement en ligne, les deux hommes ont également été condamnés à 1200 dinars (778 $) d'amende.

L'affaire, révélée par des sites et des blogueurs, a été confirmée jeudi à l'AFP par le ministère de la Justice.

Les deux hommes avaient posté «des dessins représentant le prophète nu» et «diffamé des personnalités tunisiennes», a précisé le porte-parole Chokri Nefti.

Selon la blogueuse Olfa Riahi, qui s'est rendue à Mahdia, une ville de 50 000 habitants, plutôt défavorisée, bien que située sur la prospère côte du nord-est, les caricatures sont «violentes» et choquantes, surtout dans le contexte d'une société tunisienne à fleur de peau sur la question identitaire et religieuse.

Mais «c'est une peine beaucoup trop lourde», s'est inquiétée la militante des droits de l'homme Bochra Bel Haj Hmida, qui a alerté mercredi la présidence de la République sur cette affaire.

«Ce sont deux jeunes diplômés qui se croyaient libres de se dire athées et se pensaient protégés sur Facebook», a-t-elle déclaré à l'AFP.

«Je me revendique athée, j'ai publié sur le net un livre sur la chute de l'islam», a confirmé par téléphone à l'AFP Ghazi Béji, qui dit avoir fui la Tunisie après le dépôt de la plainte, sur les conseils de militants des droits de l'homme.

«C'est une condamnation très lourde», s'est-il inquiété, affirmant que son ami Jabeur, arrêté le 5 mars, avait été «torturé» en détention.

Un procès «dans le secret»

«Nous avons été pris au dépourvu par cette affaire, le malheur s'est abattu sur nous par surprise et le procès a eu lieu dans le secret», a déclaré pour sa part le père de Ghazi, Mahmoud Mejri.

«La police a débarqué un jour pour chercher Ghazi, ils ont cherché sans rien trouver et quelques jours plus tard nous avons appris sa condamnation par contumace», a-t-il raconté.

«Depuis, notre famille subit des pressions énormes, nous sommes menacés et nous pensons quitter la ville. On me dit que mon fils a fait de mauvaises choses contre la religion, mais est-ce que ça mérite tout ça? Le ras-le-bol et le chômage peuvent engendrer des excès», a-t-il ajouté.

Selon la blogueuse Olfa Riahi, aucun avocat n'a accepté de défendre les accusés pendant presque toute la procédure.

Depuis la révolution tunisienne et l'arrivée au pouvoir des islamistes, les poursuites judiciaires pour «atteinte à la morale» ou aux «valeurs du sacré» se sont multipliées en Tunisie, mais c'est la première fois qu'une condamnation aussi lourde est prononcée.

Deux affaires sont toujours en cours ou doivent être rejugées: le procès du directeur de la télévision privée Nessma, poursuivi pour avoir diffusé le film Persepolis, dont une scène est jugée blasphématoire, doit reprendre le 19 avril.

L'affaire de l'Agence tunisienne de l'internet (ATI), sommée par la justice de censurer l'accès à des sites pornos, doit être rejugée prochainement après que le jugement eut été cassé.

Enfin, le directeur du quotidien Ettounsia a été condamné le 8 mars à 1000 dinars d'amende (653 $) après la publication en une d'une photo de nu. Il a fait appel.